La loi sur la cybercriminalité, épée de Damoclès pour les journalistes nigériens ?

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Samira Sabou et Moussa Aksar

Deux journalistes nigériens ont récemment écopé de peines de prison avec sursis après avoir relayé les conclusions d’une enquête menée par des experts internationaux sur le trafic de drogue. Pour l’un des concernés, cette affaire est symptomatique du « recul dangereux » de la liberté de la presse au Niger, et plus globalement en Afrique de l’Ouest.

« Nous avons déjà fait appel de cette décision de justice inique, qui est l’un des signes du recul évident et dangereux de la liberté de la presse au Niger », a déclaré Moussa Aksar, l’un des journalistes incriminés, interrogé par Sputnik. Selon lui, « l’étau se resserre ces dernières années » autour des journalistes nigériens, qui subiraient notamment des « menaces et des pressions économiques de toutes sortes »

« On menace, on envoie des impôts imaginaires dans le but de fermer des médias. Et quand ces méthodes ne marchent pas, on passe par des poursuites judiciaires pour faire taire les journalistes qui dénoncent la mauvaise gouvernance dans ce pays où le trafic de drogue et le degré de corruption des élites sont préoccupants », a-t-il souligné.

Début janvier, Moussa Aksar, directeur de publication du journal en ligne « L’Évènement » et président du conseil d’administration de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), ainsi que Samira Sabou, journaliste-blogueuse, ont été condamnés pour diffamation sur la base de la loi contre la cybercriminalité au Niger qui incrimine, entre autres, la « diffamation par communication électronique » et la « diffusion de données de nature à porter atteinte à l’ordre public« . Le premier a écopé de deux mois de prison avec sursis et d’une amende 500.000 francs CFA (769 euros). La seconde, d’un mois avec sursis et 50.000 francs CFA (77 euros) d’amende.

Les poursuites judiciaires à l’encontre de ces journalistes sont survenues après que tous deux ont relayé – l’un sur le site de son journal et l’autre sur Facebook – les conclusions d’une recherche de Global Initiative, une ONG de lutte contre le crime organisé transnational, qui présente le Niger comme un pays clé du trafic de cannabis entre le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et met en cause les autorités.

« Je me suis juste contenté de placarder cette recherche sur mon journal, je n’ai rien modifié. Mais voilà qu’on nous poursuit sous le coup de la loi contre la cybercriminalité. Le premier juge devant lequel j’ai comparu a argué que j’aurais dû vérifier ces informations avant de les diffuser. Est-ce que moi j’ai les moyens de vérifier une recherche de Global Initiative? Non. Mais en la publiant, je précise la source, j’indique ainsi que c’est cette ONG qui l’a rédigée et non moi. J’ai donc répondu au juge qu’il en va par exemple de même quand le syndicat des magistrats fait un communiqué, je me contente d’indiquer la source et je le publie en l’état », a poursuivi Moussa Aksar.

Samira Sabou et Moussa Aksar sont, pour ainsi dire, deux habitués des tribunaux nigériens, avec régulièrement en toile de fond la loi contre la cybercriminalité.

« À titre personnel, rien qu’en 2021, j’ai fait une dizaine d’aller-retour devant les tribunaux, notamment pour avoir, dans le cadre d’une enquête menée avec le consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et la CENOZO, dénoncé un vaste détournement de plus de 70 milliards de francs CFA (107,7 millions d’euros) au ministère nigérien de la Défense. On m’a harcelé juridiquement alors que j’ai toutes les preuves. Et pendant ce temps, ceux qui sont coupables d’avoir fourni à des soldats nigériens de fausses munitions et des armes défectueuses n’ont pas été inquiétés malgré les preuves disponibles », a soutenu Moussa Aksar.

Roland Klohi pour https://fr.sputniknews.com/