Droits humains en Guinée-Conakry : Amnesty International tire la sonnette d’alarme (Communiqué)

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Des membres des forces de sécurité font face à des manifestants, le 24 octobre 2019 à Conakry. Archives, Saliou Samb, Reuters

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Guinée. Les voyants au rouge pour les droits humains à l’approche de l’élection présidentielle

  • Au moins 70 manifestants et passants tués depuis janvier 2015
  • Des journalistes ciblés
  • 109 morts en détention

Les autorités guinéennes doivent remédier aux violations des droits humains qui se multiplient, notamment les homicides de manifestants, les interdictions de rassemblements pacifiques et la répression des voix dissidentes, qui risquent de s’aggraver à l’approche de l’élection présidentielle de 2020, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport publié le 13 novembre 2019.

Intitulé Guinée. Les voyants au rouge à l’approche de l’élection présidentielle de 2020, ce document expose la situation des droits humains qui s’est dégradée entre janvier 2015 et octobre 2019, et dénonce l’homicide de 70 manifestants et passants et d’au moins trois membres des forces de sécurité. Il met en garde contre la montée des tensions politiques, dans un contexte où les craintes sont vives que le président Alpha Condé ne modifie la Constitution pour briguer un troisième mandat.

« Neuf manifestants ont été tués le mois dernier lors des manifestations contre une éventuelle révision de la Constitution. Les leaders des mouvements pro-démocratie et de nombreux manifestants ont été arrêtés. C’est un affront pour les droits humains et une tentative violente visant à museler la dissidence », a déclaré Marie-Evelyne Petrus Barry, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.

(Re)Lire aussi : CEDEAO, d’un Sommet extraordinaire sur la Guinée-Bissau au black-out sur la Guinée-Conakry

« Les autorités guinéennes doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour apaiser les tensions, protéger les droits humains et sauver des vies avant, pendant et après les prochaines élections. Nous demandons au gouvernement du président Alpha Condé de mettre fin au règne de la peur et de la répression en modifiant la législation relative à l’usage de la force lors de rassemblements publics et en retirant les forces armées militaires des zones de manifestation. »

Amnesty International publie son rapport avant l’Examen périodique universel (EPU) de l’ONU sur la Guinée en janvier 2020. Ce rapport évalue la situation des droits humains depuis l’EPU de janvier 2015. Aujourd’hui, la Guinée a aboli la peine de mort, ce qui constitue une avancée notable.

Cependant, dans bien d’autres domaines, les autorités n’ont pas été à la hauteur de leurs engagements.

Les forces de sécurité ont tué de nombreux manifestants, dont un enfant de sept ans

Amnesty International a constaté que 70 manifestants et passants ont été tués dans le cadre de manifestations entre janvier 2015 et octobre 2019. Si l’organisation n’a pas pu confirmer les circonstances de tous les décès, les témoignages du personnel médical et de témoins ainsi que le type de munitions utilisées indiquent qu’au moins 59 des victimes semblent avoir été tuées par la police et la gendarmerie. Parmi les victimes, un enfant de sept ans qui, selon des sources médicales, a été touché par une balle perdue en octobre 2015.

En outre, Amnesty International déplore l’homicide d’Amadou Boukariou Baldé, un étudiant battu à mort par des gendarmes déployés pour disperser une manifestation à l’Université de Labé, dans le centre de la Guinée, le 31 mai 2019.

Ce rapport révèle aussi que des centaines de personnes, dont des enfants de seulement quatre ans, ont été blessées par les forces de sécurité qui ont fait usage de balles réelles, de matraques et de gaz lacrymogènes.

L’une des victimes est Mamadou Hady Barry, 10 ans, touché dans le dos par une balle alors qu’il rentrait chez lui depuis l’école coranique à Conakry, le 13 novembre 2018. Grièvement blessé, il a été pendant plusieurs mois incapable de marcher.

Répression contre les défenseurs des droits humains

Ces dernières années, le gouvernement a interdit de manière arbitraire de nombreuses manifestations. Les défenseurs des droits humains et les journalistes sont convoqués, détenus ou arrêtés par la police, uniquement parce qu’ils exercent leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Au moins 60 membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un groupe pro-démocratie ont été arrêtés depuis le 12 octobre 2019. Un tribunal a condamné cinq de leurs dirigeants à des peines allant jusqu’à un an de prison pour avoir appelé à manifester pacifiquement. Des dizaines de participants ont été condamnés à un an de prison pour avoir assisté à un « rassemblement illégal ».

En outre, le rapport dévoile que les journalistes sont pris pour cibles ou agressés par des membres des forces de sécurité, et que des médias sont suspendus.

À titre d’exemple, Aboubacar Algassimou Diallo, présentateur radio à Lynx FM, et Souleymane Diallo, administrateur général, ont été convoqués par la police les 19 et 20 août derniers, après avoir diffusé l’interview d’une femme qui accusait le ministre de la Défense de détournement des fonds destinés aux Casques bleus guinéens.

Des conditions carcérales déplorables

Amnesty International a constaté une surpopulation carcérale généralisée dans les établissements pénitentiaires guinéens. À la prison centrale de Conakry, qui a la capacité d’accueillir 500 prisonniers, 1 468 personnes sont détenues. Au moins 109 personnes sont mortes en détention pendant la période que couvre le rapport.

Ce document recense également des cas de torture et de mauvais traitements, particulièrement en garde à vue – passages à tabac, viols, recours à des positions douloureuses, brûlures et privation de sommeil notamment.

Le règne de l’impunité

L’impunité continue de régner en Guinée. Les familles de personnes tuées lors des manifestations ont déposé des dizaines de plaintes, parfois en fournissant des informations précises sur les unités des forces de sécurité déployées, notamment des noms et des plaques d’immatriculation.

Pourtant, un seul cas a donné lieu à des poursuites judiciaires. En février 2019, un capitaine de police a été condamné pour l’homicide en 2016 d’un passant lors de manifestations, et ce pour la première fois depuis qu’un membre des forces de sécurité avait été déféré à la justice en 2010.

Les poursuites judiciaires concernant l’homicide de plus de 150 manifestants pacifiques et les viols et violences sexuelles infligés à plus de 100 femmes dans le stade de Conakry en 2009, ne progressent guère.

« Afin de briser le cycle de la violence en Guinée à l’approche de l’élection présidentielle de 2020, les autorités doivent faire savoir avec force que les violations des droits humains ne seront pas tolérées », a déclaré Marie-Evelyne Petrus Barry.

« Enfin, elles doivent cesser de museler les voix dissidentes. »

Note aux Rédactions :

  • Certains chiffres du rapport ont été mis à jour dans ce communiqué de presse afin de refléter les derniers développements du mois d’octobre.
  • Une conférence de presse aura lieu le 13 novembre de 9 h à 10h30 à la Maison de la Presse à Conakry – Guinée.