Les journalistes pris au piège de la désinformation dans un contexte d’insécurité

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Ph : DR

L’émergence des réseaux sociaux a révolutionné la manière dont l’information est partagée et consommée. Cette révolution s’accompagne de nouveaux défis, notamment la propagation rapide d’informations : chacun veut devenir un diffuseur potentiel d’informations. Cependant, l’absence de filtres éditoriaux sur ces plateformes a créé un terreau fertile pour la désinformation. Les publications non vérifiées peuvent atteindre un large public en quelques secondes, favorisant ainsi la propagation de fausses nouvelles.

La cartographie de la vague de désinformation sur le continent africain élaboré par le centre d’étude stratégiques de l’Afrique a révélé  qu’ en 2022, l’Afrique de l’Ouest est la région la plus ciblée par la désinformation, avec près de 40 % des campagnes de désinformation documentées sur le continent (72 campagnes sur 189 enregistrées). Ces campagnes de désinformations sont plus focalisées sur les 3 pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), composée du Burkina Faso, Mali et Niger.

Aperçu des campagnes en Afrique de l’Ouest

Source : https://africacenter.org/fr/spotlight/cartographie-de-la-vague-de-desinformation-en-afrique/ 

Selon toujours la même source, Les 189 campagnes de désinformation documentées en Afrique sont presque quatre fois plus nombreuses qu’en 2022. L’ampleur de ce phénomène est étroitement liée à l’instabilité. Les campagnes de désinformation ont été directement à l’origine de violences meurtrières, encouragé et validé des coups d’État militaires, réduit les membres de la société civile au silence et servi de paravent à la corruption et à l’exploitation. Cela a eu des conséquences concrètes sur les droits, les libertés et la sécurité des Africains.

Aperçu des campagnes en Afrique

Source : https://africacenter.org/fr/spotlight/cartographie-de-la-vague-de-desinformation-en-afrique/ 

Aussi, le journal Indépendant Plus nous apprend dans sa parution en date du 22 septembre un sondage mené par l’association nigérienne des web activistes (ANIWEB) du 30 juillet au 24 août 2023 pour examiner et évaluer les informations qui circulent sur les plateformes en ligne afin d’identifier leurs provenances, sur 315 données enregistrées dont 185 traitées, seulement 70 de ces données sont fiables et sourcées. Celles-ci sont composé entre autres des vidéos, des images, des audios et des textes. 

L’ère de la rapidité au détriment de la véracité

Le paysage médiatique actuel est marqué par une course effrénée à l’information. Certains médias locaux et internationaux, en quête de scoop, tombent parfois dans le piège de diffuser des nouvelles sans les avoir suffisamment vérifiées. Les réseaux sociaux, avec leur flux ininterrompu d’informations, deviennent alors une source privilégiée pour les journalistes. Or, dans cette quête de rapidité, la rigueur journalistique s’efface parfois, laissant ainsi place à des erreurs factuelles.

C’est le cas par exemple de BBC Afrique haoussa qui a publié en avril 2024 un reportage sur la situation sécuritaire dans la région de Tillabéri, une localité en proie d’insécurité dans la zone des trois frontières notamment le Burkina Fasso, le Mali et le Niger. Dans ce reportage audio d’une durée de 3 minutes 47 secondes, la journaliste correspondante de BBC Afrique Haoussa du Niger Tchima Illa Issoufou avait utilisé une note vocale Whatsapp de l’activiste Ali Téra. Suite donc à ses déclarations dans le reportage, le sieur a été placé sous mandat de dépôt à la prison civile de Niamey. Ici :

Pendant ce temps, la journaliste en question avait pris la poudre d’escampette pour se réfugier dans un autre pays car elle est recherchée par les forces de sécurité qui l’accusait d’essayer de « déstabiliser le Niger » Ici :

Le cas de Tchima Illa Issoufou est un cas parmi tant d’autres.

 En février 2024, des médias nationaux et internationaux notamment Actu Niger et Jeune Afrique ont confirmé la participation de l’ancien président Issoufou Mahamadou au nom du Niger au 37ieme sommet de l’Union Africaine tenu du 18 au 19 février 2024 à Addis-Abeba (Ethiopie), alors que l’ancien président avait effectué le déplacement pour participer à la date indiquée à une réunion de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf) à Addis-Abeba en Éthiopie. Cette confusion des médias a été éclairé par le Studio Kalangou dans sa rubrique Fact-cheking du 20 février 2024. Voir le lien ci-dessous.

Aussi, au moment du coup d’État du 26 juillet 2023 ayant renversé le régime de la 7ème République, de nombreux médias ont relayé des informations provenant de comptes Facebook, WhatsApp, Tik tok, Instagram pour ne citer que ceux-là, sans prendre le temps de vérifier leur authenticité. Cette précipitation a conduit à la diffusion de rumeurs, d’informations erronées, voire de fausses nouvelles, ce qui a semé la confusion tant à l’intérieur du pays qu’à l’international.

Dans un article intitulé « Coup d’Etat au Niger et désinformation : Le monde des médias inondé de facke news » du journal l’Indépendant Plus du vendredi 22 septembre 2023, M. Aguemon Urbain, expert en fact-cheking résidant à Niamey d’indiquer que « malgré que les hommes de médias s’efforcent à respecter les principes de la déontologie et d’éthique de leur métier, ils ne sont pas à l’abris des facke news qui circulent sur les réseaux sociaux et sur internet en général. Mais, ces derniers tombent dans le piège à cause de la course à la publication de l’information de dernière minute ». Selon ses explications « les difficultés liées à la vérification des informations dans un contexte particulièrement tendu pourrait être à la base de ce problème qui engendre sans doute des conséquences graves et nuit à la crédibilité de l’ensemble de la profession » souligne-t-il ici :

https://lindependant-niger.com/index.php/fr/societe/906-coup-d-etat-au-niger-et-desinformation-le-monde-des-medias-inonde-de-fake-news

Méfiance et inquiétude des populations

Le recours aux publications non vérifiées par les médias entraîne une perte de confiance du public envers ces entreprises qui étaient autrefois les gardiens de l’information vérifiée. La crédibilité des journalistes, qui repose sur des principes déontologiques stricts, est mise en péril. Cette perte de confiance est un recul pour la société, qui dépend de sources d’information fiables pour éclairer les débats publics et les prises de décisions.

« Nous avons toujours fait confiance aux médias pour nous donner des informations vérifiées. Mais aujourd’hui, quand je vois que des médias diffusent certaines informations, je me demande où est passée l’éthique journalistique » se demande un citoyen. 

« J’écoute très souvent la radio et parfois je lis les journaux pendant la pause pour me tenir informée des actualités. Mais je remarque de plus en plus que certaines informations ne sont pas toujours exactes. Parfois certains médias après vérification des faits s’excusent auprès du grand public mais d’autres ne le font pas. Toute cette confusion me rend méfiant » confie un citoyen interrogé.

 « Les médias professionnels devraient être un rempart contre les fakes news, mais parfois, ils se laissent piéger par des informations non vérifiées sur les réseaux sociaux. Cela m’inquiète car cela donne l’impression qu’ils ne contrôlent plus la qualité des informations avant diffusion » a laissé entendre Idrissa un citoyen âgé d’environ 50 ans.

Décrédibilisation des médias professionnels et risques de disparition

Dans son rapport publié en 2022 ici : https://rsf.org/fr/classement/2022/afrique sur l’état de la liberté de la presse africaine, l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) a pointé du doigt le rôle de la désinformation dans l’affaiblissement du journalisme en ces termes : « Ces dernières années, la multiplication de lois répressives criminalisant le journalisme en ligne est venue porter un nouveau coup au droit à l’information. Dans le même temps, la prolifération des rumeurs, de la propagande et de la désinformation a contribué à affaiblir le journalisme et l’accès à une information de qualité », a -t-elle indiqué.


Ce constat trouve tout son sens dans la préface du manuel de formation « Journalisme, « fake news » et désinformation », publié en 2019 par l’UNESCO et la Fondation Hirondelle (https://www.hirondelle.org/pdfviewer/?lang=fr&id=359). Michel Beuret, Responsable éditorial de la Fondation Hirondelle pose ainsi la problématique : « Concurrents, les médias vivent de leurs ventes et sur des valeurs : vitesse ou rigueur ? Les deux sont souvent incompatibles. Entre l’urgent et l’important, certains choisissent le premier au détriment du second (et des autres médias) dans une logique que la théorie des jeux appelle « le dilemme du prisonnier » ».

Au surplus, le même ouvrage fait le constat selon lequel : « les journalistes, en tant qu’acteurs de la communication qui travaillent au service de la vérité, même quand elle est « dérangeante » peuvent devenir la cible de mensonges, rumeurs et canulars conçus pour les intimider et les discréditer en tant que personnes et en tant que professionnels du journalisme, en particulier lorsque leur travail représente une menace pour les commanditaires ou les acteurs de la désinformation »

Le retour à l’éthique Journalistique

Les médias, qu’ils soient locaux ou internationaux, doivent réévaluer leur approche face à l’information issue des réseaux sociaux. La vérification des faits doit redevenir une priorité, même dans l’urgence. Face à cette situation qui menace l’avenir des médias traditionnel, Souleymane Brah, ancien chargé de communication de la maison de la Presse, fact cheker et président de l’association pour l’éducation des médias et au numérique (ANEM-Niger) estime que « les journalistes nigériens doivent se former et travailler avec les textes de la profession. Sans quoi, l’avenir du journalisme est sombre car les réseaux sociaux gagnent du terrain. Aujourd’hui, les activistes et les influenceurs ont tendance à remplacer les journalistes » souligne-t-il.

De l’avis de Mamane Mamadou Zarami, journaliste chevronné ayant dirigé plusieurs grands médias, l’utilisation des informations non vérifiées par les médias est totalement contraire à la déontologie. « Le journaliste doit vérifier sa source avant de diffuser une information sinon il devient un charlatan » a-t-il affirmé avant d’indiquer que « cette situation de diffuser de fausses informations nous interpelle en raison de la prolifération du fake news qui a atteint son paroxysme et malheureusement de nombreux journalistes prennent les informations des réseaux sociaux pour argent comptant et les diffusent sans pour autant vérifier la source ».

Pour rappel, la conduite du journaliste est codifiée par la loi et une charte que les journalistes se sont donnés eux-mêmes. Cette charte stipule que le journaliste doit « s’assurer de la véracité des faits qu’il rapporte » car selon l’ordonnance 99-67 du 20 décembre 1999 « l’information est un droit inaliénable pour la personne humaine ». Déplus, la loi sur la cybercriminalité en son article 31 prévoit que « la diffusion de données de nature à troubler l’ordre ou à porter atteinte à la dignité humaine sera punie même lorsque les données produites et diffusées sont avérées ». Alors prudence et vigilance doivent être de mise pour échapper aux sanctions sévères prévues par la loi.

Hannatou Daouda

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet « Révéler la vérité grâce à OSINT » mis en œuvre par le journal « L’Evènement » en collaboration avec le Centre pour l’Innovation du Journalisme et le Développement (CJID) et OSF Africa

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