Coup de force militaire au Tchad : Lettre ouverte à Emmanuel Macron

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Le président français Emmanuel Macron assis à côté de Mahamat Idriss Déby, le président du CMT, lors des obsèques de Idriss Déby Itno / @Twitter

Monsieur le Président de la République,

Vous vous rendrez demain au Tchad (NDLR – la lettre a été écrite la veille du départ d’Emmanuel Macron au Tchad) pour assister aux funérailles du Président Idriss Deby Itno. A cette occasion, nos organisations, engagées de longue date auprès des acteurs de la société civile tchadienne, souhaitent vous faire part de leurs inquiétudes concernant les positions de la France sur ce pays alors que s’ouvre pour le Tchad une période cruciale et périlleuse, avec des risques de troubles qui pourraient impacter lourdement les populations civiles.

Lors de l’une des précédentes crises, en février 2008, nous avions pu exprimer au Président Nicolas Sarkozy, (en personne et régulièrement à travers ses conseillers), nos désaccords avec les analyses portées par les administrations diplomatiques et militaires françaises. Malheureusement, votre prédécesseur n’avait pas souhaité exercer son influence sur un président tchadien, alors fragilisé, pour engager un véritable processus de démocratisation et de réconciliation pourtant cruellement nécessaire. Les choses auraient pu être profondément différentes s’il l’avait fait.

Monsieur le Président, la France semble aujourd’hui, au nom d’une prétendue stabilité et de l’intégrité du territoire tchadien, reconnaitre un Comité de transition militaire dirigé par le fils du défunt président Deby.

Déjà en 2008, les administrations françaises soutenaient que les groupes armés étaient manipulés et téléguidés par une puissance étrangère, le Soudan. Elles arguaient également que seul le régime du Président Deby était capable d’assurer la stabilité du pays.

Aujourd’hui comme hier, nous estimons que ces analyses sont profondément erronées et datées. Le Tchad ne vit pas une atteinte à son intégrité territoriale. Il n’y a pas dans cette crise, d’enjeux liés à des mouvements djihadistes, ni d’ingérence étrangère. Il s’agit bien au contraire, des conséquences militaires d’une crise politique non résolue, interne au pays. Non seulement, le régime tchadien actuel ne garantit aucunement la stabilité du pays mais il est en réalité la source même de l’instabilité systémique du Tchad. Les trente années de règne d’Idriss Deby Itno ont été régulièrement émaillées d’abus et de violations graves des droits humains, visant notamment à annihiler toutes oppositions crédibles.

A travers ce Comité de transition, illégal et illégitime, vous actez d’un coup d’Etat mené par un groupe d’officiers au service d’un clan. En pensant répondre aux intérêts stratégiques et militaires français, vous légitimez une situation qui aura des conséquences graves au Tchad, comme ailleurs en Afrique. Les tchadiens attendent le changement et vont, après une période de sidération, ressentir une déception propice à toutes les violences. Le pays peut se déchirer.

M. le Président, avec nos partenaires tchadiens, nous affirmons que l’avenir et la stabilité du Tchad résident dans un large consensus de l’ensemble des forces politiques, sociales et des institutions du pays.

M. le Président, le Tchad a changé, la société tchadienne est capable d’assurer une transition démocratique de manière pacifique. Elle y est prête et la France ne peut aller contre le cours de l’Histoire. La démocratie, l’état de droit, la population tchadienne et la protection de ses droits et libertés doivent demeurer au centre des priorités françaises.

Nos organisations vous demandent :

  • De condamner sans ambiguïté le processus de confiscation du pouvoir en cours et d’exiger le respect des droits humains et des libertés publiques ;
  • D’exiger la mise en place immédiate d’une transition civile, dans le respect de l’ordre constitutionnel tchadien ;
  • D’appeler toutes les parties prenantes au dialogue (partis politiques, société civile et institutions tchadiennes) ;

Elles demandent en particulier, M. le Président, qu’à l’occasion de votre voyage, vous rencontriez une délégation de la société civile pour entendre leurs analyses et recommandations.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de notre haute considération.

Signataires :

Bernadette Forhan, présidente d’ACAT-France
Timothy Hughes, président d’Agir ensemble
Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire
Patrice Garesio, co-président de Survie
Marc Ona Essangui, président de Tournons La Page