Réformes du FCA : Des intellectuels d’Afrique et de la diaspora se prononcent

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Dans une déclaration rendue public le 6 janvier 2020 sur les réformes du CFA, des intellectuels d’Afrique et de la diaspora précisent que « ces évolutions (Ndlr : réformes du CFA) ne résultent pas de la bienveillance du gouvernement français et de son allié ivoirien, eux qui ont longtemps défendu le statu quo ».

En effet, le 21 décembre 2019, le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron annonçaient trois réformes du franc CFA, cette monnaie coloniale créée le 26 décembre 1945 qui circule encore dans quatorze pays africains dont les huit de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA).

Pour les signataires de cette déclaration, « le déclencheur a plutôt été la mobilisation pour l’abolition du franc CFA, portée depuis quelques années par des mouvements sociaux panafricanistes, des intellectuels, des citoyens ordinaires, etc. dans le continent et dans la diaspora ».

A tous ces acteurs qui ont œuvré sans relâche à l’émancipation collective de l’Afrique, les intellectuels du continent les félicitent et les encouragent pour cette œuvre utile.

Toutefois, il serait prématuré, selon eux, de « crier victoire ». Pour cause, les intellectuels d’Afrique et de la diaspora expliquent : « d’abord, la France maintient toujours le rôle officiel de garant ; un rôle, il faut le souligner, qu’elle n’a jamais vraiment exercé pour la simple raison que ce sont les Africains eux-mêmes et les ressources à leur disposition qui ont toujours permis l’émission et la convertibilité du franc CFA ».

Ensuite, « la Banque de France abrite toujours l’essentiel du stock d’or monétaire des pays de l’UEMOA ». A ceux-là s’ajoute « la parité du franc CFA vis-à-vis de l’euro qui est toujours maintenue ». L’objectif étant, selon les intellectuels du continent, « d’accorder une préférence commerciale à la zone euro et de soumettre la politique monétaire des pays de l’UEMOA à celle de la Banque centrale européenne (BCE) ».

Par ailleurs, pour les auteurs de cette déclaration, « l’annonce que le franc CFA sera renommé ‘’ECO’’ laisse perplexe », tout en rappelant que « ECO est le nom retenu, en juin 2019, à Abuja, par les quinze pays de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pour désigner la monnaie unique régionale ouest-africaine en gestation. Un projet qui a été initié au sein de la CEDEAO depuis 1983 mais dont la mise en œuvre a fait l’objet de plusieurs reports.

C’est pour cette raison d’ailleurs que les intellectuels d’Afrique et de la diaspora se demandent pourquoi « les pays de l’UEMOA devraient-ils s’arroger le droit de rebaptiser ECO le franc CFA alors qu’ils n’ont pas encore tous rempli les critères d’entrée dans la zone monétaire ECO définis au sein de la CEDEAO ? ».

Aussi, devaient-ils s’interroger, « comment comprendre cette déclaration hâtive de Macron et Ouattara qui maintient la France en tant que prétendu « garant » du franc CFA renommé ECO, ainsi que la parité fixe avec l’euro, alors que la CEDEAO requiert pour le lancement de sa monnaie unique le retrait total de la France de la gestion monétaire des pays de l’UEMOA ? », rappelant que « la CEDEAO a déjà fait le choix d’adosser sa monnaie à un panier de devises ».

Suivant cette déclaration, ses signataires se demandent aussi s’il ne faudrait pas « craindre une tentative de sabotage surtout au regard de la volonté maintes fois exprimée par le gouvernement français d’élargir l’usage du franc CFA aux pays anglophones ouest-africains et d’isoler le Nigeria ? ».

Pour toutes ces raisons et au regard de la confusion actuelle, amplifiée plutôt que dissipée par les différents communiqués de la CEDEAO, de la BCEAO, de la République du Nigeria, de la République du Ghana, etc. « nous invitons les citoyens des États membres de la CEDEAO à faire preuve de plus de vigilance concernant les récents développements liés au franc CFA et à l’ECO », prévient la déclaration des intellectuels d’Afrique et de la diaspora.

Par ailleurs, tout en saluant l’émergence d’un débat public, porté par des intellectuels et acteurs de la société civile en Afrique, sur la question du franc CFA, « nous devons en même temps déplorer le mutisme inquiétant de nos chefs d’État et de gouvernement sur une question aussi importante sur le plan symbolique, politique, économique et psychosociologique » s’inquiètent les intellectuels d’Afrique et de la diaspora.

Tout en déplorant le déficit de communication des gouvernements africains sur un sujet qui engage l’avenir de plus de 300 millions d’habitants en Afrique de l’Ouest et celui de l’intégration régionale, les signataires de cette déclaration sur les réformes du CFA demandent  :

– Aux chefs d’État de l’UEMOA d’informer clairement leurs concitoyens sur les surprenantes déclarations d’Alassane Ouattara et d’Emmanuel Macron qui semblent les engager, sans qu’ils aient eu encore à en référer à leur parlement et aux autres institutions républicaines pertinentes.

– Aux spécialistes des questions économiques et monétaires au sein de la CEDEAO, de l’UEMOA et de la BCEAO de participer activement au débat public sur les réformes en question, en confrontant leurs propositions aux objections soulevées par des chercheurs et leaders indépendants de la société civile.

– Aux peuples des États membres de la CEDEAO de rester mobilisés dans le débat citoyen enclenché sur la sortie définitive de la France de la gestion monétaire de nos États et sur l’adoption de systèmes monétaires souverains au service des peuples et qui s’inscrivent dans la dynamique de mise en place d’une Fédération des États de l’Afrique de l’Ouest.

Au regard de tout ce qui précède, les intellectuels d’Afrique et de la diaspora tiennent à réaffirmer que « la question de la monnaie est fondamentalement politique et que la réponse ne peut être principalement technique ».

Pour ces intellectuels, « la monnaie qui est un instrument et symbole de souveraineté doit être l’émanation des aspirations profondes des peuples d’Afrique qui doivent être en permanence associés aux processus en cours ».

A cet égard, indiquent-ils, « nous sommes d’avis que les critères de convergence ne constituent pas une approche appropriée. Ces derniers doivent être revus et éventuellement remplacés par des indicateurs de nature plus politique, prenant en compte les défis de l’heure, tels que l’industrialisation, l’autonomisation des producteurs locaux, la compétitivité des entreprises nationales de la zone CEDEAO, le plein emploi et la transformation écologique ».

Lire la liste des signataires :

Makhily Gassama, Essayiste, Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur (Sénégal)

Boubacar Boris Diop, Écrivain (Sénégal)

Aminata Dramane Traoré, Écrivaine, ancienne Ministre de la Culture et Présidente du Groupe « États généraux du franc CFA et des Alternatives » (Mali)

Mariam Sankara, Économiste (Burkina Faso)

Odile Sankara, Artiste, Comédienne (Burkina Faso)

Odile Tobner, Universitaire, Essayiste (Cameroun)

Koulsy Lamko, Universitaire, Ecrivain, (Tchad/Mexique)

Mamadou Koulibaly, Economiste et homme politique (Côte d’Ivoire)

Mamadou Diop Decroix, Ancien Ministre d’Etat, Secrétaire du Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme (Sénégal)

Rosa Amelia Plumelle-uribe, Essayiste, « militante pour la dignité humaine » (France)

Tony Obeng, Analyste des questions de développement, ancien Professeur à l’IDEP, Diplomate à la retraite (Ghana)

Stanislas Spero Adotevi, Universitaire, Essayiste, Ancien Directeur régional de l’UNICEF (Bénin/Burkina Faso)

Nathalie Yamb, femme politique et consultante (Côte d’Ivoire)

Bouchentouf-Siagh Zohra, Universitaire, Essayiste (Algérie/Autriche)

Véronique Tadjo, Écrivaine, Universitaire (Côte d’Ivoire/Afrique du Sud)

Ibrahim Abdullah, Professeur d’Histoire (Sierra Leone)

Cheick Oumar Sissoko, Cinéaste et ancien Ministre (Mali)

Antonin Zigoli, Universitaire, Université Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire)

Ndongo Samba Sylla, Économiste et écrivain (Sénégal)

Issa N’diaye, Philosophe et ancien Ministre (Mali)

Elimane Haby Kane, Sociologue (Sénégal)

Ngaba Ngadoy, Économiste et Financier (Tchad)

Rahmane Idrissa, Politiste (Pays Bas, Niger)

Amadou Tidiane Wone, Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur (Sénégal)

Adama Samaké, Universitaire, Université Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire)

Mamadou Diop, Ancien Haut fonctionnaire, Essayiste (Sénégal)

Dialo Diop, Médecin biologiste et homme politique (Sénégal)

Cheikh Hamala Diop, Économiste et interprète de conférence (Sénégal)

Sandjiman Mamder, Économiste, Haut fonctionnaire à la retraite, BIT/ONU (Tchad/Genève)

Raphaël Eklunatey, Biologiste (Togo/Genève)

Martin Bire, Spécialiste en Education (Tchad/Prague)

Mouhamed Ly, Anthropologue (Sénégal)

Crystal Simeoni, Économiste féministe (Kenya)

Cheikh Oumar Diagne, Économiste (Sénégal)

Amadou Elimane Kane, Écrivain et Poète (Sénégal)

Coumba Touré, Coordinatrice Africans Rising (Sénégal)

Jibrin Ibrahim, Chercheur au Centre for Democracy and Development (Nigeria)

Elom 20ce, Artiste et Rappeur (Togo)

Redge Nkosi, Économiste (Afrique du Sud)

Ismail Rashid, Historien (Sierra Leone/USA)

Amy Niang, Universitaire (Afrique du Sud)

Mouhamadou Lamine Sagna, Anthropologue (Nigeria/Sénégal)

Many Camara, Sociologue (Mali)

Versa Mshana, Avocate (Tanzanie)

Mahmoud Ibrahime, Historien (Comores)

Carlos Vamain, Jurisconsulte, Ancien Ministre (Guinée-Bissau)

George Klay Kieh, Jr., Universitaire (Libéria)

Momar Sokhna Diop, Professeur d’économie et de gestion, Écrivain (Sénégal/France)

Cheikh Gueye, Géographe et Secrétaire permanent du Rapport Alternatif sur l’Afrique (Sénégal)

Lionel Zevounou, Maître de conférences en droit public (France)

Mouhamadou Ngouda Mboup, Enseignant-Chercheur en droit public (Sénégal)

Aisha Fofana Ibrahim, Universitaire (Sierra Leone)

Luc Damida, Chercheur (Burkina Faso)