Quand des web-activistes manipulent les chiffres des attaques terroristes pour fragiliser la quiétude sociale au Niger 

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Un agent des FDS qui sécurise les populations locales réunies autours d'un point d'eau / Niger (image d'illustration)

Au lendemain ou parfois le jour même d’une attaque terroriste au Niger, des web-activistes publient sur les réseaux sociaux le bilan. Ce dernier diffère généralement de celui fourni par les sources officielles. Cette guerre de chiffres sème la confusion au sein l’opinion nigérienne en la mettant dans l’embarras du choix de la source d’information crédible. 

Hamid Amadou N’Gade est un web-activiste qui publie sur le réseau social Facebook et sur sa chaine de diffusion WhatsApp, le bilan des attaques terroristes perpétrées au Niger. Il compte au 19 août 2024, 26.000 abonnés sur le réseau social Facebook et plus de 5.000 personnes suivent sa chaine WhatsApp. 

Abdou Pagoui un autre web-activiste rejoint N’gade dans la publication des bilans des attaques terroristes. Sa page Facebook accumule, en août 2024, plus de 56.000 abonnés. 

Ces deux cyber-activistes sont des communicateurs du régime déchu de Mohamed Bazoum. Avant le coup d’état militaire du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), leurs publications se focalisaient sur les réalisations du régime en place. Ils ne s’intéressaient pratiquement pas au bilan des attaques terroristes. 

Aujourd’hui, il leur arrive de fournir des bilans en moins de 24h après une attaque. Le bilan qu’ils donnent porte uniquement sur le nombre des soldats tués au cours d’une attaque. Apparemment, le nombre des terroristes neutralisés ne les intéressent pas.

Une stratégie coordonnée de communication digitale des web-activistes 

Après le coup d’état militaire, N’gade en collaboration avec Abdou Pagoui et Maidalili, tous membre de la cellule Communication du régime déchu de Bazoum Mohamed, ont mis en place une campagne digitale avec l’objectif manifeste de dénoncer les nouvelles autorités du Niger.

Aux premières heures du coup d’état, ils ont appelé la population à des manifestations pour le retour à l’ordre constitutionnel ; une mobilisation réprimée par les forces de l’ordre. Ils ont ensuite soutenu sur les réseaux sociaux les décisions de la CEDEAO sur le Niger allant des sanctions financières, économiques à une éventuelle intervention militaire pour réinstaller Bazoum Mohamed sur le fauteuil présidentiel.  

Depuis août 2023, ils déploient une stratégie de communication digitale consistant à faire croire que l’arrivée du CNSP au pouvoir a sérieusement dégradé la situation sécuritaire du pays. Pour ce faire Hamid Amadou N’Gade a commencé à publier sur Facebook les bilans des attaques terroristes. Ces publications sont systématiquement partagées par Abdou Pagoui. Les deux web-activistes se partagent leurs publications.

Dans la même foulée, ils partagent les publications de la page Facebook « Mu duba mu gani » (Regardons bien en langue Haoussa) une page alimentée par deux rubriques : Éditorial et Apostrophe citoyenne. La première rubrique fait le décryptage des informations du jour en essayer de discréditant les nouvelles autorités de Niamey. Depuis Août 2023, la page publie chaque jour un numéro. 

A ce jour elle compte plus de 20 000 abonnés et est animée par le journaliste Abdoulkader qui plus connu sous le nom de « Mai dalili Namu ». La seconde rubrique est l’Apostrophe citoyenne. C’est une émission qui consiste à publier des témoignages de la population sous forme des notes vocales sur la situation du pays. Amadou N’Gade et Abdou Pagoui partagent régulièrement les contenus de la page Mu duba Mu Gani 

Du mois d’Aout 2023 au mois de juillet 2024, N’Gade a fait 117 publication sur le bilan des attaques terroristes au Niger. Le bilan qu’il publié se focalise généralement sur les FDS tués.

L’intérêt porté principalement sur le bilan des attaques terroristes révèle une stratégie de communication à double facette : montrer d’une part à la population l’incapacité du CNSP à assurer la sécurité du peuple nigérien et d’autre part, appeler les militaires et la population à se soulever contre les nouvelles autorités. Certaines de leurs publications trahissent leurs motivations cachées. C’est le cas de celle de N’gade du 10 Août 2023. Sa publication sur Facebook stipule : « À l’attention des soldats nigériens… 

Chers Soldats,

Des officiers véreux, corrompus et qui n’ont toujours pensé qu’à eux-mêmes, ont décidé sans raison et sans aucune justification de rompre le processus démocratique et la trajectoire de développement de notre pays. Ce faisant et de manière dramatique, ils ont mis un coup d’arrêt à nos meilleures perspectives de développement. Ainsi, nous savons désormais que les travaux du barrage de Kandadji sont suspendus. Ce barrage est un rêve de 3 générations. Il devrait être terminé en 2025.

Pourquoi nous battre pour eux ?

La centrale solaire de Goroubanda devrait commencer le 25 août. Elle aussi est compromise.

Pourquoi nous battre pour eux ?

Chers soldats, 

Ils sont venus compromettre notre essor économique, nous maintenir dans l’extrême pauvreté. Ils sont en train de nous priver des ressources nécessaires pour notre sécurité en ce temps de terrorisme. 

Pourquoi nous battre pour eux ?

Chers soldats,

La lutte contre la corruption est le cadet de leurs soucis vu le magistrat qu’ils ont nommé Ministre de la justice (le plus corrompu de tous les magistrats du Niger). D’autres corrompus notoires sont également promis ministres encore comme celui de l’agriculture et de l’élevage.

Pourquoi nous battre pour eux ?

Chers soldats,

Vous êtes enfants du peuple et vous devez le montrer en pareille circonstance.»

Le 21 Août 2023, Abdou Pagoui a publié un post sur Facebook où il partageait la réaction selon lui d’un soldat qui avait choisi l’anonymat. Cette publication destinée à semer la panique au sein de la population, appelait les soldats nigériens à la révolte en ces termes : 

«Chère frères d’armes, nous constatons depuis la prise de pouvoir de nos frères du CNSP une dégradation de la situation sécuritaire dans notre pays et particulièrement dans la zone des trois frontières.

 Ce nouveau régime n’est venu servir que ses propres intérêts. Nous mourrons par dizaines chaque jour mais ils ne sont même pas fichus rendre hommage à nos martyrs. La mort de tout ces valeureux soldats est sous leurs responsabilités. Certains parmi nous n’ont toujours pas reçu leurs salaires du mois de juillet et ont laissé leurs familles en ville pour servir notre patrie. Comment allons nous nourrir nos familles ou même préparer la rentrée scolaire de nos enfants le mois prochain ?

Nous sommes à bout de munitions et n’avons plus assez de carburant pour assurer des patrouilles dans les différents villages. Nous n’avons plus de soutien aérien depuis bientôt 4 semaines. Les premières victimes du CNSP c’est nous meme car on est abandonné à notre sort. Nous ne faisons que prier et demander à nos familles de prier pour nous car la menace ne fait que croître. Les civils abandonnent leurs villages, c’est vraiment triste car avant tout allait si bien pour notre pays. Aujourd’hui vous voulez nous utiliser pour servir de bouclier humain et chair à canon?

Nous ne nous combattrons pas pour une cause perdue et laisser nos familles endeuillées. Nous sommes des responsables de famille tout comme vous et nos familles comptent sur nous. Nous n’allons jamais nous battre pour vos intérêts à vous. Nous nous sommes engagés dans l’armée pour l’intérêt et la protection du peuple.

Je suis un père de famille et je ne vais pas me sacrifier pour laisser une veuve et 3 orphelins sans raison. Je suis impatient de finir ma mission et retrouver ma petite fille qui me réclame tout les soirs.

Nous demandons au CNSP de trouver une sortie avec diplomatie parce que nous ne sommes pas prêt. Que dieu bénisse le Niger et protège son peuple.

Je préfère garder l’anonymat » stipule ladite publication.

Le 1er août 2024, Amadou N’gade a publié un bilan détaillé du nombre des Forces de défense et sécurité (FDS) tués du 26 juillet 2023 au 26 juillet 2024. Selon son post, 41 incidents sécuritaires ont été enregistrés occasionnant la mort de 1006 soldats nigériens. 

Dans la foulée, Abdou Pagoui un autre web-activiste a publié le 02 Août 2024, un bilan des victimes des attaques terroristes du 1er août 2023 au 1er août 2024. Le nombre de victimes s’établit à 1.732 dont 839 membres des FDS. Ce bilan est tiré de la plateforme ACLED, une organisation internationale à but non lucratif indépendante et impartiale qui collecte des données sur les conflits violents et les manifestations dans tous les pays et territoires du monde. 

 La page Facebook du site web Wamaps a, quant à elle, publié un autre bilan le 29 juillet 2024, faisant cas de plus de 800 FDS décédés en un an. Wamaps est un média d’analyse des conflits armés en Afrique de l’ouest. Il collabore avec des journalistes, graphistes, informateurs, et experts en sécurité dans plusieurs pays de l’Afrique de l’ouest. 

Après avoir contacté Wamaps sur la fiabilité de leurs données, le media a fait savoir que « Nous vérifions tous les événements que nous traitons, les informations sont donc, selon nous, fiables. » Les données des attaques terroristes au Niger publiées sur le site web Wamaps sont issues des publications des web-activistes sur les réseaux sociaux dont figure Abdou Pagoui. Ce qui permet de douter de la crédibilité de ces données puisqu’étant collectées auprès des web-activistes dont l’alignement politique ne souffre d’aucun doute.

Pour avoir les chiffres officiels sur les soldats tombés, nous avons parcouru les bulletins d’information des actions des FDS de juillet 2023 au juillet 2024. Ces  bulletins sont régulièrement publiés sur la page Facebook de la télévision nationale RTN. Les données recueillies font état de 99 FDS tuées suite aux attaques terroristes un an après la prise de pouvoir du CNSP. Le graphique suivant montre que le bilan donné par N’gade dépasse de plus de 10 fois les chiffres collectés à travers les bulletins militaires.

Ce graphique donne une idée de la guerre informationnelle autour des chiffres publiés par les différents acteurs, par les écarts importants existant entre les chiffres fournis par les bulletins militaires et ceux publiés par des structures indépendantes d’une part et des web-activistes politiquement affichés. 

Une guerre qui secoue la quiétude société 

Le fait d’avoir des chiffres de morts différents sur une même attaque terroriste « crée de confusion chez les citoyens. Cela peut pousser les citoyens à douter de la version officielle des faits » témoigne Amadou Dan Kori acteur de la société civile. « L’Etat a tous les moyens pour fournir des vrais bilans sur les attaques terroristes, alors que les Web-activistes ne sont pas présents sur les théâtres des opérations militaires » a-t-il ajouté.  

Selon Zeinab Issoufou, une jeune activiste, « les Web-activistes ne sont pas habilités à fournir des bilans sur les attaques terroristes. C’est le rôle des autorités. Le fait que tout le monde donne des chiffres sur les bilans des attaques crée de la panique au sein de la population ». Pour Kabirou Moussa, étudiant, la publication sur les réseaux sociaux des bilans exagérés des attaques terroristes inquiètent les parents des jeunes désireux de s’engager dans l’armée. Donc j’appelle ces web-activistes à cesser cette pratique qui ne relève en aucun cas de leurs responsabilités. », lance-t-il.

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet « Révéler la vérité grâce à OSINT » mis en œuvre par le journal « L’Evènement » en collaboration avec le Centre pour l’Innovation du Journalisme et le Développement (CJID) et OSF Africa.

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