Les autorités ivoiriennes doivent immédiatement prendre des mesures destinées à prévenir les violences y compris celles entre adversaires politiques appartenant à des communautés différentes, et à protéger la population et son droit de manifester pacifiquement, a déclaré Amnesty International vendredi 28 août 2020.
Dans les villes de Divo et Bonoua au sud et sud-est du pays, la marche, vendredi 21 août, des femmes opposées à la candidature à un troisième mandat du président Alassane Ouattara, a été brutalement dispersée par des jeunes. Les violences qui ont suivi ont occasionné plusieurs blessés et des pillages et incendies de magasins. Amnesty International a interrogé plusieurs témoins oculaires et recueilli des informations qui confirment que les femmes manifestaient les « mains nues » au moment où elles ont été attaquées par des groupes de jeunes armés de machettes et de gourdins.
« Nous avons vu des manifestations de femmes dispersées et empêchées par des jeunes. A Divo, des violences entre adversaires politiques appartenant à des communautés différentes ont éclaté. Dans un pays qui, il y a moins de dix ans, connaissait de graves violations des droits humains dans un contexte électoral avec plus de 3 000 morts, il est important de réagir immédiatement pour apaiser la situation, » a déclaré Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Les autorités doivent protéger la population et mettre fin aux violences. L’impunité risque d’être un vecteur clé de nouvelles violences si toutes les personnes soupçonnées d’en être responsables à Divo et ailleurs, ne sont pas traduites en justice dans le cadre de procès équitables. »
Commerces et magasins pillés ou incendiés
A Bonoua, la manifestation des femmes a aussi été brutalement dispersée par des jeunes qui en ont blessé une à la tête, incendié des bars et attaqué des maisons. D’après des témoins, les violences ont été le fait d’affrontements entre membres de communautés d’appartenance politique différente, certains armés de morceaux de bois, de gourdins et de machettes.
A Divo, plusieurs commerces et magasins sur les voies principales des quartiers Konankro, Bada et Legbreville n’ont pas été épargnés par les pillages et incendies notamment la deuxième plus grande boulangerie de la ville. Selon un habitant interrogé par Amnesty International, le plus grand bar de la ville, aussi appelé ‘maquis Péage’ situé dans le quartier Konankro a été incendié le vendredi soir.
Une femme dont le magasin se trouvant sur la voie principale de Konankro a été pillé a raconté à Amnesty International : « … Les jeunes agresseurs étaient armés de gourdins et de machettes. Ils ont commencé à attaquer les femmes qui marchaient les mains nues pour les disperser… Ils s’exprimaient en langue nationale Dioula en disant, après avoir aussi pillé, incendié et volé les produits de nos magasins et maquis, ‘venez on va partir’. Il y a eu des affrontements entre eux et les autres jeunes qui étaient venus spontanément pour protéger nos magasins. »
Interdiction des manifestations et arrestations arbitraires
Ces violences à Divo et Bonoua se sont déroulées dans un contexte de vive tension politique dans le pays à deux mois de l’élection présidentielle. Ce contexte est aussi caractérisé par des menaces verbales entre partisans de l’opposition et du pouvoir notées sur les réseaux sociaux, une série d’arrestations arbitraires et l’interdiction jusqu’au 15 septembre des manifestations sur la voie publique.
L’interdiction des manifestations annoncée le 19 août par le Conseil des ministres est contraire au droit de réunion pacifique garanti par les normes internationales relatives aux droits humains. Elle semble être politiquement motivée afin d’empêcher les opposants à la candidature du président Alassane Ouattara à un troisième mandat d’exercer leur droit à la liberté d’expression.
Le 15 août, Pulchérie Edith Gbalet, coordinatrice de l’ONG Alternatives Citoyennes (ACI), qui avait appelé à manifester contre le projet de candidature à un troisième mandat, ses deux collaborateurs Djehi Bi Cyrille et Gbaou Gedeon Junior qui lui rendaient une visite privée ont été interpellés par des hommes armés dans un hôtel où elle séjournait. Ils ont été placés sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) le 19 août. Ils sont poursuivis pour les faits d’atteinte à l’ordre public, participation à un mouvement insurrectionnel, atteinte à l’autorité de l’Etat, destruction volontaire de biens publics et provocation à un attroupement.
Yao Kouamé, ancien président de la jeunesse du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, opposition) à Bassam a été appréhendé le 16 août à son domicile par des hommes encagoulés. Il a été mis sous mandat de dépôt cette semaine et écroué à la MACA pour atteinte à la sûreté de l’Etat et trouble à l’ordre public. Selon son conseil, les autorités n’ont pas respecté la procédure. Yao Kouamé a été interrogé en absence d’un avocat, son téléphone fouillé sous la contrainte, et les délais de garde à vue non respectés.
« En arrêtant de façon arbitraire des voix dissidentes, les autorités restreignent abusivement la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Toutes les personnes arbitrairement détenues doivent être immédiatement libérées, » a déclaré Samira Daoud. « L’interdiction des manifestations sur la voie publique décidée par les autorités est une attaque de plus contre les voix dissidentes. La liberté de manifester pacifiquement est un droit. »
Complément d’information
Le 22 août dernier, le président Alassane Ouattara a été officiellement investi candidat de son parti à l’élection présidentielle du 31 octobre prochain. La justice ivoirienne a décidé, le 25 août, la radiation définitive des listes électorales de l’ancien président Laurent Gbagbo du FPI (opposition) dont la candidature a été évoquée par son camp. Guillaume Soro, ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale, et candidat déclaré à l’élection présidentielle a été condamné in absentia le 28 avril à 20 ans de prison pour recel de détournement de deniers publics et blanchiment de capitaux par le tribunal correctionnel d’Abidjan.
Source : Amnesty International