GROUPE D’INTERVENTION JUDICIAIRE SOS-TORTURE EN AFRIQUE
Le Groupe d’Intervention Judiciaire SOS-Torture en Afrique exprime ses vives préoccupations face à la recrudescence des bavures au sein des forces engagées dans les opérations de contre-terrorisme au Sahel. Les récentes allégations de viols et de tentative de viols sur des civils par des militaires tchadiens engagés au sein de la Force conjointe G5-Sahel et en opération au Niger, constituent sans équivoque des violations graves du droit international et rappellent l’importance de mettre les droits de l’homme au centre des réponses sécuritaires.
A la suite d’une mission d’investigation, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) du Niger, a déclaré dans un communiqué de presse que « des soldats tchadiens engagés dans la lutte contre les djihadistes au Sahel, dans le cadre de la force multinationale du G5 Sahel, sont responsables de « viols » de plusieurs femmes à Tera, ville du sud-ouest du Niger ». Le gouvernement tchadien et la brigade prévôtale de Tera de la Force conjointe du G5-Sahel ont confirmé cette information, et annoncé que les « auteurs » de ces crimes, ont été « arrêtés » et « subiront les sanctions qui s’imposent » par les juridictions du Niger et du Tchad.
Les violences sexuelles perpétrées sur une jeune fille de onze ans et sur deux femmes mariées dont une enceinte, sous les regards impuissants de leurs maris constituent des actes de torture au regard du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
Cette grave transgression du droit international rappelle la bavure commise au Mali, le 3 janvier 2021, lors d’une frappe de la Force Barkhane dans la localité de Bounty. Au moins 22 personnes qui prenaient part à un mariage avaient été tuées et au moins huit autres blessées. Les victimes étaient tous des hommes âgés de 23 à 71 ans, dont la majorité habitait le village de Bounty. La mission d’établissement des faits de la MINUSMA a estimé que cette frappe n’était ni légale ni respectueuse du principe de précaution en vertu du droit international humanitaire.
Ces évènements interviennent dans un contexte de lutte contre le terrorisme dans le Sahel marqué par des détentions arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et des exécutions sommaires qui violent les libertés fondamentales et alimentent la radicalisation. La résolution 2359 du Conseil de sécurité de l’ONU du 21 juin 2017, qui encadre le déploiement de la Force conjointe G5-Sahel rappelle pourtant la nécessité de protéger les civils et la politique de tolérance zéro de l’Organisation des Nations Unies à l’égard de l’exploitation et des atteintes sexuelles notamment à l’encontre des femmes et des enfants.
Le Groupe d’intervention judiciaire constate que les lois et pratiques antiterroristes dans le Sahel ont augmenté les actes de violence, de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Cela a un impact important sur la vie des familles et des communautés, et représente un risque supplémentaire pour les femmes et les filles.
Les récentes violations de droits humains et du droit humanitaire au Mali et au Niger, doivent être suivies d’enquêtes et de sanctions pénales, conformément à la Convention contre la torture.
À cet effet, nous recommandons :
- À l’État tchadien : d’ouvrir une enquête indépendante pour situer les responsabilités et punir les coupables en coopérant avec la République du Niger ;
- À l’État du Niger : de diligenter immédiatement une enquête indépendante et impartiale pour situer clairement les circonstances de ces violations et de protéger les civils des communautés concernées contre d’éventuelles représailles ;
- Aux États engagés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel : de donner des instructions claires aux forces armées sur l’interdiction absolue de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment sur les enfants et les femmes ;
- À l’organisation du G5 Sahel : de prendre des dispositions pertinentes et urgentes pour sensibiliser les forces armées au respect des droits de l’Homme dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme et de maintien de la paix.
Les signataires:
- Maitre AMAZOHOUN Ferdinand, Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
- Maitre AMEGAN Claude, Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
- Maitre DOUMBIA Yacouba, Mouvement Ivoirien des Droits de l’Homme (MIDH)/ Cote d’Ivoire
- Maitre TRAORE Drissa, Observatoire des Femmes actives de Côte d’Ivoire (OFACI)/ Cote d’Ivoire
- Maitre SOUILAH Mohsen, Centres SANAD/ Tunisie
- Maitre RAHMOUNE Aissa, Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADH)/ Algérie
- M. LOUBASSOU Christian, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Congo) / République du Congo
- Maître NKONGHO Felix, Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
- Maitre WEMBOLUA Henri, Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
- Maitre Annie Masengo, Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
- Maitre NODJITOLOUM Salomon, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
- Maitre MOUDEINA Jacqueline, Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH)/ TCHAD
- Maitre NIYONGERE Armel, SOS Torture Burundi/ Burundi
- Maitre NTIRANYUHURA Divine, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-Burundi)
Maitre Zaninyana Jeanne d’Arc, Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB)/ Burundi
Autres membres et partenaires du réseau SOS-Torture :
- Alternative Espaces Citoyens (AEC)/Niger
- Ligue Malienne des Droits de l’Homme (LMDH)/Mali
Déclaration conjointe, le 8 avril 2021 / N’Djaména, Niamey, Bamako, Genève.