Niger – Présumée exécution de civils : Le Procureur de Tillabéri confond la CNDH

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Fosse commune découverte dans la région de Tillabéri

Dans un communiqué de presse, le Procureur près le Tribunal de grande instance de Tillabéri, Amadou Barhame, a apporté des clarifications sur l’affaire présumée d’exécutions sommaires de 102 personnes par des éléments des Forces de défenses et de sécurité dans la zone d’Inatès et d’Ayerou (région de Tillabéri).

Début septembre 2020, un rapport de mission d’investigation, de vérification et d’établissement des faits de la Commission nationale des Droits humains (CNDH) sur la disparition de 102 personnes dans la région de Tillabéri a pointé du doigt certains éléments de la Force armée nigérienne, comme auteurs d’exécutions extrajudiciaires sur des civils non armés. Dans un communiqué, le Gouvernement nigérien a rejeté les conclusions dudit rapport. Quelques jours plus tard, le Procureur de Tillabéri revient à la charge avec des clarifications accablantes.

Partant du contexte sécuritaire de la région de Tillabéri, de l’historique des faits et des éléments d’enquête dont il dispose, le Procureur Amadou Barhame a indiqué que : « au stade actuel de l’enquête, aucun indice concordant n’a été relevé permettant sans risque de se tromper d’attribuer de façon péremptoire, la responsabilité d’exactions ou d’exécutions sommaires de ces personnes aux éléments des forces armées Nigériennes ».

Dans ce dossier, la Commission nationale des Droits humains serait-elle induite en erreur ? A qui profite le rififi médiatique autour de cette affaire ? Que cache réellement cette affaire ? Ce sont là les questions qu’on se pose en attendant une réaction de la CNDH par rapport au communiqué du Procureur dont nous vous invitons à lire l’intégralité.

Communiqué de presse du Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Tillaberi relatif à l’évolution de l’enquête sur l’affaire de présomption d’exécutions sommaires de 102 personnes au cours des mois de mars et avril 2020 par des groupes armés dans la zone d’Inatès et d’Ayerou (Région de Tillabéri)

Mesdames et messieurs,

Par correspondance en date de 22 juin 2020, Monsieur le ministre de la Justice, Garde des sceaux a saisi Monsieur le Procureur Général près la Cour d’Appel de Niamey pour qu’il instruise le Procureur de la République près le Tribunal de Grande instance de Tillaberi à l’effet de mener des investigations visant à identifier les auteurs de telles exactions.

Pour rappel, depuis un certain temps, la situation sécuritaire qui prévaut dans le département d’Ayerou, exacerbée par la crise sécuritaire dans un pays voisin, a fait naître un climat de terreur avec la présence des groupes terroristes dans la zone.

La prolifération des armes de guerre de tout genre, contribue à la propagation du banditisme armé et la criminalité transfrontalière. Les vols à mains armées de bétails, les rackets, les persécutions, et les règlements de compte sont devenus le quotidien des populations locales.

Cette insécurité grandissante et dévastatrice qui sévit dans la zone a provoqué un flux massif de déplacés internes (16.000 personnes environs) vers la ville d’Ayerou, auxquels, il faut ajouter les refugiés maliens estimés à environs 10.000 personnes en plus de la population autochtone estimée à plus de 15.000 habitants.

Cet accroissement fulgurant de la population d’Ayerou a fait monter en flèche le taux d’insécurité amplifiée par la précarité des conditions de vie des habitants, par l’insuffisance de ressources et le désœuvrement, toute chose qui facilite le recrutement par les groupes terroristes, d’éléments combattants parmi la population.

Devant cette situation alarmante, l’Etat d’urgence a été décrété dans la zone, et les forces de défense et de sécurité ont été déployées, pour combattre le terrorisme sous toutes ses formes. C’est dans ce climat que cette affaire « d’exécution sommaire de 102 personnes » a vu le jour.

L’ouverture de cette enquête a permis de recadrer les faits, de les situer dans leur contexte.

La qualification « d’exécutions sommaires de 102 personnes » a été donnée de prime abord aux faits, en ce qu’ils laissaient croire qu’il y’a un rapport direct entre les listes des personnes présumées disparues et la découverte des 06 fosses communes dans les zones indiquées. Alors qu’en l’espèce, il apparait que quelques temps après l’attaque du camp de l’escadron de la Garde Nationale d’Ayerou, du 12 mars 2020, par des groupes terroristes, des poursuites ont été engagées par les forces de défense et de sécurité, suivies par des opérations de ratissages et des frappes aériennes, à la suite desquels plusieurs terroristes ont été neutralisés.

Au même moment, des familles à Ayerou et à Inates, ont fait circuler des informations faisant état de la disparation de leurs proches. C’est ainsi que le 27 mars 2020, la Brigade territoriale de Gendarmerie d’Ayerou a enregistré des déclarations de trois (03) familles dans ce sens.

Dans le même cadre, le mercredi 1er avril 2020, une première liste de 19 personnes présumées disparues a été présentée à la brigade de Gendarmerie d’Ayorou. 
Courant la même journée l’ex-maire de la commune rurale d’Inates a saisi la dite Brigade d’une autre liste de 54 personnes présumées disparues.

Cette dernière liste n’aurait pas été enregistrée du fait que l’ex maire d’Inates ,qui en était l’initiateur, ne disposait pas de renseignements sur les circonstances de leur disparition.

Par la suite et contre toute attente, apparaissent 02 listes de 54 personnes présumées disparues chacune, avant que l’ex maire, le vice-maire et le maire d’Inates n’apprennent que 06 des 108 personnes dont les noms figurent sur les listes ont été interpellées par les éléments des forces armées nationales et mises à la disposition de la Gendarmerie pour des faits présumés de terrorisme.

C’est ainsi que les listes ont été diminuées des noms des 06 personnes gardées à vue, avant d’être partagées sur les réseaux sociaux et transmises à la CNDH.

Donc à la suite de la découverte des fosses communes, tous ceux dont les noms figurent sur la liste des 102 personnes étaient systématiquement considérés comme décédés donc comme avoir été « exécutés ». Il ressort cependant, des éléments de l’enquête que c’était des listes ouvertes à tous ceux qui désiraient fournir l’identité de leurs proches dont ils n’ont plus de nouvelles ; Cela, sans distinction des circonstances de temps et de lieux de la disparition et surtout sans la moindre vérification des allégations fournies.

De l’ouverture des listes jusqu’à leur publication, 07 personnes dont les noms sont inscrits sur les listes ont regagné leurs domiciles respectifs. Dans quel intérêt des listes de présumés disparus ont été établies par des tierces personnes, de leur propre initiative alors qu’une unité d’enquête a déjà été saisie des faits ?

Quelle est la nature des rapports que ces derniers entretiennent avec les militaires ou avec les groupes terroristes ?

La découverte des 06 fosses communes dans les zones de Tagbat/Inates, Garey Akoukou /Inates ; de Bambakaria/Ayerou, de Tagardey, de Tamorogala ; avec environs plus d’une soixantaine de corps, qui constituent les fosses dont les faits ont été dénoncés d’une part ;

D’autre par,t il existe des fosses contenant les corps des présumés terroristes tués à l’occasion de l’attaque du camp de l’escadron de la Garde Nationale d’Ayerou ; des corps de ceux qui avaient été tués pendant les poursuites engagées par les éléments des forces régulières ; des corps issus des frappes aériennes des forces armées ; et des corps des personnes exécutées par des groupes terroristes, parce qu’elles ont refusé de collaborer.

S’agit ‘il des mêmes fosses ou de fosses distinctes ? où sont situées les fosses contenant les terroristes tombés sous les balles des forces de défense et de sécurité ?

Il ressort aussi des éléments de l’enquête, que les scènes de crime avaient été souillées, des corps déterrés et inhumés dans des cimetières avant que les fosses ne soient refermées. Ceci en violation des dispositions de l’article 50 du code de procédure pénale qui disposent que « dans les lieux où des crimes ont été commis, il est interdit à toute personne non habilitée de modifier avant les premières opérations de l’enquête judiciaire, l’état des lieux et d’y effectuer des prélèvements quelconque ….»

Cette modification est susceptible d’entrainer la destruction des traces voir même entraver le fonctionnement de la justice. La manipulation de l’état des lieux pourrait être faite de façon impulsive, par des proches ou à dessein dans le but de maquiller les faits.

La crédibilité de certains témoignages est mise à rude épreuve du fait de l’appartenance de certaines « présumées victimes et leurs familles » à des groupes terroristes.

Autant de questionnements et de doutes qui subsistent encore et qui commandent de s’interroger s’il s’agit d’exécutions sommaires de personnes ou d’une mise en scène ?

Au regard de tout ce qui précède, au stade actuel de l’enquête, aucun indice concordant n’a été relevé permettant sans risque de se tromper d’attribuer de façon péremptoire, la responsabilité d’exactions ou d’exécutions sommaires de 102 personnes, si exécutions sommaires il y a eu, aux éléments des forces armées Nigériennes.

La suite de l’enquête va permettre d’établir les éléments de preuve et de situer les responsabilités. Plusieurs critères de compétence matérielle et territoriale liés au contexte de l’Etat d’urgence, tirés des dispositions légales, militent en faveur du Tribunal Militaire, un dessaisissement sera envisagé dans ce sens.

Merci de votre aimable attention !

Elhadj Amadou BARHAME, Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Tillaberi.

Tillaberi, le 12 septembre 2020