Dans une lettre adressée à l’ambassadeur de France à Bamako, le professeur de droit privé, Ibrahim Maïga s’est indigné de la réaction de la diplomatie française aux déclarations de l’artiste Salif Keita sur les rapports de diplomatiques qu’entretiennent la France et le Mali et sur le financement du terrorisme au Sahel.
Tout en relevant quelques vices dans la réaction de la diplomatie française aux propos de l’artiste de renommée internationale adressés au chef de l’Etat malien, le professeur Ibrahim Maïga a d’abord fait, références à l’appui, la genèse des opérations militaires au Mali avant de poser quelques questions « embarrassantes » sur le terrorisme dans le pays. Lire l’intégralité de sa lettre.
Lettre à Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako
Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako, c’est avec force indignation que je vous ai lu, au fil d’un communiqué faisant état de votre prétendu « étonnement » à propos du secret de polichinelle dont le Très Respecté Salif KEITA s’est fait porteur à l’intention du Président IBK.
De prime abord, votre statut de diplomate vous commande de remuer votre langue dix fois avant de choisir à qui vous adresser, sur quoi et comment. Et, ç’en est devenu votre exercice favori, autant je vous ai récemment entendu vous adresser – directement (quelle outrecuidance !) – au Président de l’Assemblée nationale du Mali à propos des déclarations d’un Honorable député du Mali faites au cours de débats en plénière (constitutionnellement couverts par l’immunité parlementaire malienne), et ce, avec une bien osée désinvolture de votre part.
Mais cette fois-ci, ç’en est trop ! Vous vous attaquez à notre SALIF KEITA NATIONAL, notre Monument Vivant ! Vous vous êtes autorisé au-delà de ce qui est permis à un simple représentant diplomatique ! Vous, vous êtes simple Ambassadeur de France à Bamako, tant pis ! Notre Respecté Salif KEITA est l’Ambassadeur du Mali auprès du reste du Monde, l’Ambassadeur de la Musique et de la Culture maliennes auprès de tous les Citoyens du Monde, titre qu’il arbore depuis des lustres !
C’est sans commune mesure, et cela est d’autant plus vrai et vérifiable que personne ne vous connaît ici qu’à travers vos piètres sorties médiatiques (un diplomate, vous dites !) qui n’ont d’égal que le dédain et l’indignation que le Peuple malien ressent, à votre endroit, en ces heures sombres de son histoire.
Au lieu pondre à la pelle vos communiqués aux relents néocolonialistes et condescendants, l’orthodoxie diplomatique vous aurait commandé, à tout le moins, de vous adresser au Ministère des affaires étrangères du Mali, ou au mieux à en référer à votre patron, son homologue français, qui se chargerait, s’il le juge nécessaire, d’en toucher mot à la chancellerie malienne. C’est « diplomatiquement » simple et basique !
Au demeurant, ne touchez plus à notre SALIF NATIONAL, un des Trois Plus Illustres KEITA que notre histoire connaît : Soundjata KEITA, le fondateur de l’Empire du Mandé au 13ème Siècle, Modibo KEITA, le Père de l’indépendance du Mali au 20ème Siècle, et bien sûr Salif KEITA NATIONAL, en ce 21ème Siècle, mondialement renommé et inscrit à l’équivalent de notre Panthéon (pour vous permettre d’apprécier l’ordre de valeur que cela pourrait représenter chez vous !),…
Peut-être même, si la liste devrait s’égrener, arrive un autre KEITA, Salif le domingo du football malien, … et certainement pas celui que vous prétendez défendre dans votre fade communiqué… car sa forte soumission à la France macronienne le déclasse au loin, dans la liste de nos illustres KEITA à distinguer dans le combat pour l’honneur et la dignité du MALI. Souffrez que vous en soyez averti !
SALIF KEITA parle à son Kôrô, et qui plus en Malinké ! De quoi je me mêle ! Ce qu’il y dit en langue authentiquement malien, comme les textes de ses créations artistiques (c’est un véritable créateurs, et c’est peu le dire) et ses compositions musicales sont des universités pluridisciplinaires à côté des élucubrations d’un diplomate en mal d’inspiration ! Salif Kuma ! Parle et sois la voix des sans voix ! L’histoire retiendra que tu as joué ta « partition », autant en musique qu’en citoyenneté !
Mais venons-en au faits, Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako !
Nicolas NORMAND, votre illustre devancier a clairement écrit et défendu au fil de la presse que le gouvernement français « a donné le Nord du Mali aux séparatistes… » (TV5Monde : Nicolas NORMAND : https://youtu.be/jfvek70LxlY). Vous en dites quoi, Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako ?
Déclenchée en janvier 2013 pour stopper les colonnes djihadistes à l’entrée de Konna, l’Opération française « SERVAL » a été l’occasion de forcer la main au gouvernement malien de « redemander » une intervention au sol contre une intervention simplement aérienne, comme initialement demandé à la hiérarchie politico-militaire française (voir l’émission «Cellule de crise» : https://youtu.be/YhRg3DGq6u4). C’est d’ailleurs, vous le verrez plus bas, ce qui lui a permis de mettre des garrots aux mollets de l’armée nationale. Vous en dites quoi, Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako ?
Quelques semaines après l’intervention française de l’opération Serval, l’Ambassadeur français, Christian ROUYER, qui avait fortement déconseillé et s’était catégoriquement opposé à la collaboration de l’armée française avec les rebelles touarègues, a été démis de ses fonctions (voir idem « Cellule de crise » : https://youtu.be/YhRg3DGq6u4). Vous en dites quoi, Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako ?
Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako, je vous demande de voir le déroulé des faits et les circonstances de l’intervention française au Mali, et de son évolution subséquente. Cette émission télévision, « Cellule de crise », ci-haut citée, est commentée par le journal Le Parisien comme suit : « Cellule de crise revient avec son atmosphère high-tech crépusculaire pour révéler la genèse de l’opération Serval ».
Et c’est bien à propos de le dire ainsi, car il y est expliqué (en réel et par reconstitutions) comment les autorités françaises avaient pu suivre, depuis des mois, l’évolution en temps réelle de la situation dans les Régions du Nord du Mali, dans une « atmosphère high-tech », de renseignements technologiques, de satellites, de drones à vision nocturne et thermique, d’écoutes téléphoniques et satellitaires, d’avions de surveillance et d’escadrilles supersoniques, d’opérations « combinées » utilisant divers moyens plus ou moins complémentaires, etc. Nous étions en 2012 et début 2013, et il y avait quasiment pas de moyens de renseignement humain bien élaboré au sol.
Pourtant, c’est à partir de postes d’observation et de renseignement en France ou d’autres pays de la sous-région sahélienne que l’armée français est arrivée, en appui avec les troupes maliennes ragaillardies par cette aide salvatrice, à stopper net avec une fulgurante efficacité la percée djihadiste sur le verrou de Konna et les goulots de Nampala et Diabaly, et de mener une chasse à l’homme systématique des colonnes terroristes en débandade, jusque la vallée de l’Amétataye, dans les confins des montagnes de l’Adagh des Ifoghas ou de l’Adagh d’Ouzzeïne et au-delà dans le Tanezrouft à la frontière algérienne ou même dans leur fuite vers les forêts du Wagadou à la lisière de la Mauritanie, voire en repli vers le Sahara Occidental.
En une dizaine de jours, le tour est joué : mission accomplie ! Sauf qu’à quelques encablures de Kidal, l’armée malienne est éconduite… au nom de quoi ! Allez savoir ! Et même là, certains djihadistes furent triés sur le volet et adoubés, d’abord en Mouvement islamique de l’Azawad (MIA) vite converti en Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), aux apparences djihadistes moins criardes.
Soit ! Le cauchemar de Konna est passé, un Accord préliminaire a permis d’installer des nouvelles autorités élues, la Minusma s’installe, l’Opération Serval se reconvertit en Opération Barkhane dédié uniquement à la lutte contre le terrorisme ambiant, avec plus de 4.200 hommes au Mali. Soit ! Un Accord dit pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger est signé, mettant définitivement fin aux belligérances entre l’armée malienne, les groupes armés rebelles et les groupes armés d’autodéfense.
A ces trois catégories de protagonistes maliens (Armée malienne, Groupes armés rebelles et Groupes armés d’autodéfense) s’ajoutent donc les forces onusiennes de la Minusma, du Tchad, la Force française Barkhane, et plus tard la Force G5-Sahel, avec comme vocation d’aider le Mali à se stabiliser et à lutter résolument contre le terrorisme national et transfrontalier.
Je fais ce rappel fort élogieux pour l’intervention française, pour simplement montrer que la superpuissance militaire française est à la pointe de la technologie, de la stratégie et de la tactique militaire. L’armée française a pu facilement débarrasser, à partir de Konna et Diabaly, les régions septentrionales maliennes des forces obscurantistes terroristes, parce qu’elle a pu, avec ses moyens de renseignement et ses opérations combinées, localiser, identifier, suivre à la trace, traquer et neutraliser les combattants terroristes aussi nombreux que disparates sur plus des trois-quarts du territoire malien.
Alors, maintenant des questions avec d’innombrables zones d’ombre !
Comment l’armée française, qui a si facilement réussi avec une stratégie tactique payante d’identification des positions et itinéraires des terroristes en vue de leur neutralisation, a accepté de s’accommoder avec la présence de toutes sortes de troupes éparpillées sur tout le septentrion malien, si tant est l’intention d’être efficiente comme aux premières heures de l’Opération Serval ?
Pourquoi avoir abandonné la recette gagnante qui a consisté à maîtriser le terrain par les moyens de renseignements technologiques, aériens, humains et logistiques, en confinant toutes forces non belligérantes dans des zones et sites bien identifiés, pour pouvoir facilement traquer les terroristes qui auront l’obligation de se mouvoir et de se découvrir pour être frappés et neutralisés ?
Pourquoi on a l’impression que toutes conditions sont créées et entretenues pour maintenir l’enclave de Kidal, alors qu’il est de notoriété qu’une bonne partie des attaques djihadistes s’y préparent ou s’y replient, comme l’a moult fois décrié le courageux Président Mahamadou ISSOUFOU du Niger, et sous la bienveillante couverture de la Force française ?
Comment comprendre que les attaques djihadistes ne visent que les positions des troupes gouvernementales maliennes ou des autres troupes qui ne sont pas en odeur de sainteté avec la Mnla/Cma telles que celles du Tchad ou du Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) ou même du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), dissident de la Cma ?
Comment comprendre qu’avec toute cette armada de moyens de renseignements technologiques, humains et logistiques, aériens, la Force Barkhane n’assiste pas les militaires maliens, lors des attaques meurtrières qui les déciment de Nampala, à Dioura, de Gourma-Rharouss à Tarkint, de Boulikessy à Mondoro, d’Indelimane à Konna ?
Comment comprendre qu’avec cette superpuissante (je dirais même hyperpuissante) force française militaire, aucun secours ne vient aux soldats maliens, et pire les terroristes auront eu, après leurs forfaits, le large temps de bivouaquer et d’écumer les camps asservis, durant des heures pour tourner leurs macabres vidéos de propagandes et se retirer gaillardement, sans aucunement être inquiétés ?
Comment comprendre qu’un Etat souverain, qui a accepté vos lettre de créances, accuse sans broncher des coups de semonces contre son statut d’Etat indépendant et souverain, à travers des atteintes diverses comme l’annonce d’une énième opération franco-européenne dite « Takuba, le Sabre Scélérate » ou comme l’« autorisation » donnée depuis Paris par Macron au Premier ministre du Mali de se rendre à Kidal… dans les prochains jours ?
Notre SALIF KEITA s’interroge sur le peu d’entrain et de courage politico-diplomatique dont font montre le Président IBK et son gouvernement face aux assauts répétés contre notre souveraineté d’Etat, en tant pays membre à part entière des Nations-Unies et « ami » de la France, certainement pour des raisons que vous et eux connaissent, puisque cela se peut s’expliquer, dans le Pays de Modibo KEITA et de son Excellence Aliou Blondin BEYE, que par le fait que votre Gouvernement tient le nôtre par « quelque chose qui ferait mal, très mal ». D’où certainement ce mutisme fort apathique : vous en direz-nous des nouvelles ?
Monsieur l’Ambassadeur de France à Bamako, c’est sur des aspects aussi ambigus que paradoxalement clairs pour nous que nous attendons le « chantre de l’amitié » France Mali, que vous êtes censé être, plutôt que de vous attaquer à notre SALIF KAITA NATIONAL. Soyez en sûr et ne pas vous méprendre à vous acharner encore sur lui, vous n’en serez que plus honni ! Commettez l’erreur d’y persister dans cette lugubre voie anti-diplomatique que vous serez déclaré persona non grata… au Mali, par le Peuple Malien !
Salutations sincères !
Bamako, le 16 novembre 2019.
Ibrahim Ikassa MAIGA, Enseignant / Faculté de Droit Privé (USJP/Bamako – Mali)