Crise de l’énergie : regain d’intérêt pour le Niger

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Les tensions relatives au ralentissement potentiel de l’exportation de gaz russe vers l’Europe rendent soudainement plus intéressants certains territoires à fort potentiel énergétique. Tel est le cas du Niger, jusqu’ici relativement délaissé. Cet État détient, au cœur de ses terres, le plateau rocheux de l’Aïr, un rectangle de 300 km sur 200 qui abrite 100 milliards de barils de pétrole et deux fois plus de gaz naturel. Le Niger ambitionne de devenir l’un des plus grands pays producteurs de pétrole du continent africain à l’horizon 20251.

Produisant actuellement 20 000 barils d’hydrocarbures, il ambitionne d’en exporter 500 000 à l’horizon 2025. Ceci implique toutefois la sécurisation des pipelines soumis au pillage en aval2. D’autre part, le pays regorge de bauxite3. Depuis 2019, l’uranium n’était plus rentable au Niger, le kilo d’uranium étant passé de 40 dollars en 2014 à 25 dollars en juillet 2019 en raison des répercussions en chaîne de la catastrophe de Fukushima. Le 31 mars 2021, la mine d’Akouta, ayant épuisé ses ressources, 600 salariés furent licenciés.

Or voici que l’énergie nucléaire est brusquement relancée face à la pénurie de gaz. Ce qui va aiguiser les appétits des puissances géopolitiques concurrentes.

Si l’on se tourne du côté des puissances continentales du nouvel empire mongol, l’État qui domine est la Chine. En termes de matières premières, les chinois ont quasiment l’exclusivité sur la prospection et l’utilisation des matières premières qu’il s’agisse du pétrole, de l’uranium ou de l’or. La Chine a le projet de construire un oléoduc d’une longueur de 2000 km entre le Niger et le Bénin afin de pouvoir produire 500 000 barils par jour en 2030.

En matière militaire, la Chine équipe les Forces Armées Nigériennes en fibres optiques grâce à la société ZTE. Elle a également livré des copies des VAB au Niger, mais beaucoup sont tombés en panne. Le volume du commerce entre les deux pays s’élève à 511 millions de dollars : les achats chinois concernent le pétrole, le coton, la gomme arabique, et leurs ventes se concentrent sur les véhicules, les pièces détachées, les produits chimiques, les machines, et les chaussures.

Notons qu’une mission médicale chinoise est présente de façon permanente au Niger4. Ces bonnes relations économiques n’empêchent pas les Chinois d’être fréquemment victimes de rapts par les djihadistes5, d’où leur intérêt à ce que la zone soit sécurisée par d’autres armées. La Russie, qui vient de fêter le 50ème anniversaire de sa coopération avec le Niger est plus discrète.

En 2020, à la veille de la rentrée du Niger au Conseil de sécurité de l’ONU en tant que membre non-permanent, des réunions avaient eu lieu à Niamey, rassemblant de hauts fonctionnaires russes comme le Directeur du Département des organisations internationales du Ministère des affaires étrangères de la Russie et son homologue nigérien. L’on sait également que le Qatar, dont les relations avec la Russie se renforcent, collabore avec le Niger dans le domaine pétrolier.

Du côté occidental, le Niger fait figure de tête de pont pour le commandement américain qui soutient la lutte contre les opérations terroristes afin de pouvoir justifier la défense de ses propres intérêts géoéconomiques dans la zone.

Les drones d’observation américains fournissent 50 % du renseignement français dans la zone. L’armée française opère ainsi grâce à un œil judicieusement prêté par les Américains6. Les États-Unis ont tenté de nouer une collaboration directe avec le G5 Sahel en assurant son financement. Français et Américains partagent également une base militaire commune à Niamey, ce qui n’empêche pas les États-Unis de mener des opérations d’influence pour leur propre compte7.

De façon plus discrète, Israël vend des drones au gouvernement nigérien et propose ses services dans le domaine de l’agriculture et de la santé. Quant à l’armée française, dont le centre de gravité a connu une translation vers l’est en raison des opérations d’influence russo-chinoises au Mali, elle renforce son dispositif militaire dans la région des trois frontières en un temps où le Niger est devenu le nouveau régulateur des migrations sahéliennes. Il lui faudra prendre en compte sur place un acteur géopolitique au jeu indépendant : la Turquie qui a signé en 2020 un pacte de défense avec Niamey. Une façon comme une autre pour elle de se positionner sur le marché énergétique local tout en vendant ses fort efficaces drones à bas coût TB28.

L’on voit ainsi que les puissances géopolitiques antagonistes s’appuient sur des stratégies assez différentes, les continentaux du nouvel empire mongol visant le développement tandis que les puissances océaniques libérales poursuivent la sécurisation de la zone. Dans la lutte pour le contrôle géoéconomique du Niger, les gagnants seront ceux qui auront considéré la fin. Pour sécuriser l’Atlantide énergétique, il existe en effet un secret pour tout officier en partance : emporter un exemplaire des Pensées de Pascal dans sa cantine avant de planter sa tente dans la solitude de ces espaces infinis.

Une tribune de Thomas Flichy de La Neuville, Professeur d’université

  1. Cette analyse est le fruit d’une collaboration entre la chaire de géopolitique de Rennes School of Business et la cellule de veille géopolitique de l’Institut Albert Le Grand – IRCOM. 
  2. Le delta du Niger est depuis des années le théâtre de graves troubles, avec des groupes armés qui percent les oléoducs pour piller du brut, provoquant des désastres écologiques et multiplient les enlèvements contre rançons. 
  3. L’exploitation de l’uranium au Niger par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) débute en 1968 à Arlit, puis à Akokan dans les années 1970. 
  4. La Chine a mis a disposition 1 100 000 doses de son vaccin contre le Covid-19. 
  5. Le dernier enlèvement date de juin 2021. 
  6. Selon le New-York Times, la base secrète de Dirkou, située en plein Sahara, permettrait aux États-Unis d’effectuer des missions de surveillance par drones. 
  7. Du 7 au 9 août 2021, un exercice a été mené au Niger pour tester la capacité qu’a le Native American Rights Fund (NARF) à intervenir en cas de situations d’urgence pour défendre les intérêts américains. 
  8. Du 9 au 13 mars, le président Nigérien Mohamed Bazoum a effectué une visite en Turquie où il a visité les sites du complexe militaro-industriel. Il a également commandé des avions de combat à turbopropulseurs de formation Hurkus de Turkish Aerospace, des véhicules blindés tactiques de Nurol Makina.