Le successeur de Fatou Bensouda a officiellement pris fonction ce 16 juin 2020. Il fait face déjà à une demande d’ouverture d’enquête sur de nombreuses violations commises au Tchad ces dernières années. La requête vient du cabinet Larochelle Avocats.
Ce n’est certainement pas le courrier de bienvenu auquel Karim Khan aurait souhaité. Larochelle Avocats n’a pas non plus voulu lui accorder quelque temps d’observation. Il faut faire vite. Et pour cause, « la situation préoccupante concernant les droits de l’homme qui règne dans ce pays (Ndrl, Tchad) s’est considérablement aggravée au cours de la dernière année, et nous estimons, pour les raisons qui suivent, que le procureur de la CPI devrait ouvrir une enquête dans ce pays », lit-on dans la correspondance datée du 16 juin adressée au nouveau Procureur général.
Selon les avocats, « la prise du pouvoir par la junte militaire le 20 avril 2021 n’a fait qu’empirer les choses, avec entre autres les disparitions des Colonels Youssouf Mahamat Nour, Ahmat Souleyman Issa ». Ils relèvent aussi le cas du Colonel Mahamat Tahir, arrêté dans la nuit du 19 avril, la veille du putsch, la répression dans le sang des manifestations qui se sont tenues en particulier le 27 avril et le 8 mai 2021. « La répression sanglante et systématique de ces manifestations par les forces de l’ordre et l’armée s’élève au rang de crime contre l’humanité », a indiqué le courrier des avocats.
Pour ces derniers, les nouvelles autorités perpétuent la tradition d’impunité qui règne dans le pays depuis les années 90. Elles continuent « de réprimer tout membre de la population, et toute organisation civile, qui ose contester » sa légitimité. A ces relevés macabres, s’ajoutent entre autres ceux de l’opération militaire « Colère de Bohoma », les combats entre l’Armée nationale du Tchad (ANT) et les rebelles de FACT dans lesquels l’ex-chef d’Etat Idriss Deby Itno a laissé sa vie, les propos scandaleux du chef d’état-major de l’ANT Abakar Abdelkérim Daoud. Ce dernier a déclaré le 9 mai dernier avoir « nettoyé » le territoire alors que les victimes des crimes décrits précédemment continuent de réclamer justice.
Le cabinet Larochelle Avocats dit avoir en sa possession de nombreux documents qui attestent les exactions commises sur des civils. Il s’agit des « témoignages, photos, matériel électronique (pages facebook, WhatsApp ou Instagram) constituant autant de preuve de la commission de ces crimes ». Le cabinet compte aussi sur une communication faite le 1er juin 2021 par Amnesty International sur la base de témoignages recueillis auprès de victimes, de leurs proches et d’associations de défense des droits humains.
Toutefois, ce n’est pas la première fois que les avocats interpellent la CPI. Cette nouvelle saisine fait suite à celle déjà faite en avril 2020 par la Justice en Action (JEA), la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH), la Convention Tchadienne de Défense des Droits de l’Homme (CTDDH) et l’Association Utopie Nord-Sud décrit dans le détail les crimes ayant été commis depuis avril 2020.
Karim Kahn saura-t-il tourner la page controversée de son prédécesseur en se saisissant cette fois-ci du dossier tchadien ? Des nombreux procès à géométrie variable ternissent l’image de la CPI. L’accueil que s’apprêtent les militants à réserver à leur champion Laurent Gbagbo, le « célèbre bagnard » de la Haye, est un message fort envoyé à la Cour pénale internationale afin qu’elle revoie sa copie.