Au Mali, les terroristes ne sont pas infréquentables, d’après Ibrahim Boubacar Keïta

0
1187

Le chef de l’Etat malien, invités de deux médias publics français, a fait son coming-out en admettant pour la première fois avoir envoyé des émissaires aux chefs jihadistes Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali. Aujourd’hui, il dit être attendre «quelques frémissements» de ses lointains interlocuteurs pour mettre en orbite un dialogue national impératif pour mettre un terme à la dégradation de la situation sécuritaire.

Discuter avec les jihadistes maliens n’est pas si criminel que cela. Il comporterait même quelque brin de sagesse et de réalisme dans le cadre d’une approche globale visant à ramener la paix au Mali. Pour le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), il y va de l’avenir de son pays. Dans un entretien accordé simultanément à la chaîne France 24 et à Radio France Internationale (RFI), le chef de l’Etat malien a défendu la nécessité de sortir d’une crise politico-militaire qui perdure depuis huit ans. « Le nombre des morts au Sahel devient exponentiel. Il est (donc) temps que certaines voies soient explorées » afin que le pays sorte de l’impasse meurtrière en vigueur, en dépit de la présence de près de 6000 soldats français de la force Barkhane.

C’est la première fois que le président Keïta admet ainsi l’existence de négociations secrètes avec des forces qualifiées de terroristes et opérant dans la bande sahélo-saharienne. Pourtant, au mois de novembre dernier, le célèbre avocat Me Hassan Barry avait été arrêté par des agents du Renseignement malien et interrogé pour «délit» de «complicité avec des terroristes». Il avait été relâché après soixante douze heures de détention grâce à une «erreur de procédure» qui arrangeait tout le monde finalement.

Bien avant cette arrestation, il était de notoriété publique que cet ancien ministre du gouvernement malien travaillait déjà sur des « missions secrètes » dont certaines autorités haut placées l’avaient chargé. C’est dans ce cadre qu’il s’était rendu dans plusieurs «katibas» dont ceux d’Amadou Koufa et d’Iyad Ag Ghali, deux des plus redoutables chefs jihadiste de l’écosystème terroriste au Sahel, aux côtés de l’insaisissable Al Sahraoui.

Après l’aveu du président Ibrahim Boubacar Keïta, il est donc tentant de donner crédit à la défense de Me Barry qui a systématiquement soutenu n’avoir été que le missi dominici des plus hautes autorités du pays. L’émissaire principal du chef de l’Etat malien pour la région Centre – devenue épicentre des violences contre l’armée et les civils – est un ancien président de transition, Dioncounda Traoré. Le mois dernier, à rebours des réactions de certains officiels plus ou moins informés des intentions du gouvernement, il avait définitivement levé les soupçons qui pesaient sur Me Barry en révélant « avoir personnellement envoyé des émissaires » auprès d’Ag Ghali et de Koufa afin d’établir des « passerelles pour dialoguer avec tout le monde. »

Au Mali, le principe d’ouvrir le dialogue avec les organisations terroristes est un facteur de division, autant dans la société civile qu’au sein de la classe politique. Mais il semble avoir été adopté naturellement eu égard à la dégradation très rapide de la situation sécuritaire, notamment dans la région Centre. Le dialogue national clôturé en décembre dernier en a fait un axe essentiel en perspective d’une éventuelle fin de crise. Pour les Maliens, la force Barkhane se révélant impuissante face à la guerre asymétrique imposée par les groupes jihadistes, l’heure est venue de sonner la réconciliation nationale «avec toutes les parties au conflit».

Toutefois, le chef de l’Etat malien a averti qu’il ne faut pas s’attendre à des miracles ici et maintenant, semblant plutôt renvoyer la balle aux interlocuteurs jihadistes après la main tendue du gouvernement. En attendant que surviennent «quelques frémissements» qui mettront sur orbite le dialogue national.

Selon un rapport de l’organisation Human Rights Watch publié ce lundi, 456 civils ont été tués et plusieurs centaines d’autres blessés au cours de l’année 2019 dans le centre du pays, «territoire» d’Amadou Koufa.