Après avoir essuyé une averse de critiques suite à la condamnation du journaliste béninois Ignace Sossou, CFI s’est fendue d’une déclaration le jeudi 2 janvier dans laquelle, on retrouve les propos du procureur et les publications du journaliste condamné à 18 mois de prison ferme et une amende de deux cent mille francs CFA.
En effet, après le Forum de concertation sur les enjeux des infox en période électorale au Bénin du programme Verifox Afrique, qui s’est tenu à Cotonou du 17 au 19 décembre dernier, le journaliste Ignace Sossou a posté trois Tweet qui lui ont valu la prison.
Des Tweet dans lesquels, on lui reproche d’avoir sorti de leur contexte les propos du procureur Mario Metonou. Dans un courrier en date du 19 décembre 2019, CFI a » livré » le journaliste (le traitant de « peu scrupuleux »). Un courrier qui a servi aux avocats du plaignant au tribunal. Dans sa nouvelle déclaration, » le courrier signé par CFI le 19 décembre avait pour unique objet de rappeler que CFI est attaché à la déontologie des médias autant qu’à leur professionnalisme. », a déclaré l’agence française.
L ‘agence française de coopération médias (CFI) a dit regretter « autant les propos « incomplets » qui ont conduit à la situation juridique actuelle, que la formulation maladroite d’une lettre dont la finalité a été dévoyée et l’usage qui a été fait d’un courrier n’ayant aucune valeur décisionnelle.«
Lire la déclaration de CFI ci-dessous
CFI, attaché à la déontologie journalistique, est un acteur résolument engagé depuis 30 ans auprès des médias libres et indépendants. Il ne saurait se dissocier de la communauté des journalistes. Le combat pour la liberté d’expression et la vérité des faits est notre ambition commune. Nous partageons pleinement les préoccupations de chacun sur ces enjeux.
Dans ce cadre, le programme Vérifox a pour objectif à la fois la sensibilisation des parties prenantes et la promotion d’un dialogue constructif et apaisé entre médias, société civile et autorités autour de la question des fausses informations -infox. Nous avions eu le plaisir d’organiser une session de ce programme avec les médias burkinabés à Ouadougou puis les journalistes ivoiriens à Abidjan fin novembre dernier. Nous savons tous que les fausses informations gagnent du terrain partout dans le monde, dans des contextes politiques et géopolitiques sensibles. Elles menacent la liberté de presse à laquelle nous sommes tous attachés.
Dans le cadre du forum de Cotonou, la matinée du 18 décembre consacrait un panel de discussion sur le thème « Quel arsenal juridique contre les infox ? ». Les débats se déroulaient en présence de deux spécialistes et professionnels béninois : le docteur Marius Janvier Dossou-Yovo, enseignant chercheur, SG adjoint de la HAAC, et monsieur Mario Métonou, Procureur de la République du Bénin près du Tribunal de Cotonou. Ces deux intervenants, au regard de leur fonctions respectives, ont accepté d’échanger de façon ouverte et franche avec les participants.
Au cours de son intervention, le procureur s’est exprimé sur la complexité du droit en matière d’appréciation d’abus et de diffusion de fausses nouvelles. Malheureusement, certains de ses propos ont donné lieu à trois posts incomplets émis par le journaliste Ignace Sossou (@Ignacekp) sur les réseaux sociaux.
Nous avons ici transcrit les enregistrements des débats (que nous tenons à disposition) et les avons comparés aux messages postés.
Question du modérateur :
« Comment est-ce que le droit béninois assure l’encadrement de ce phénomène là (fausses nouvelles ndr) ?
Intervention de M. Métonou (à la 29e minute des débats)
« Le docteur a parlé tout à l’heure des coupures d’internet au cours des dernières élections, le docteur a parlé des difficultés que les législateurs, que ce soit au Bénin ou ailleurs, ont pour encadrer ce phénomène. Pourquoi ? Pourquoi il y a ces difficultés-là ? Deux raisons. La première c’est que nous sommes au confluent de plusieurs droits et donc de droits fondamentaux, la liberté d’expression, la liberté d’opinion, qui sont des droits constitutionnellement garantis. La deuxième raison c’est que le phénomène est tellement important que ces coupures d’internet que l’on a observé ici et dans d’autres pays africains pendant les périodes électorales, traduisent pour moi un aveu de faiblesse des pouvoirs politiques face au phénomène des fausses nouvelles. »
Tweet diffusé par Ignace Sossou
« La coupure d’Internet le jour du scrutin du 28 avril est un aveu de faiblesse des gouvernants » – Le Procureur Mario Mètonou @CFImedias #VérifoxAfrique #Bénin
Intervention de M. Métonou (à la 31e minute des débats)
« Alors, l’encadrement juridique du phénomène (fausses informations) – et là j’ai souri quand mon prédécesseur a présenté son plan- est un encadrement juridique limité. J’ai souri parce que on se rejoint là-dessus. Les lois sur la question, elles sont imprécises. Il y a des contenus et des définitions assez souples, voire floues, qui font que les textes, et surtout le code du numérique apparaissent comme un fourre-tout. Et heureusement, autant que malheureusement je n’en sais rien, ce code du numérique c’est comme une arme qui est braquée sur la tempe de chaque journaliste, de chaque web activiste, malheureusement. On pourra trouver toujours dans le code un article, un texte de loi pour punir un web activiste, un administrateur de forum, même un journaliste -je ne le dis pas très haut mais bon- qui publie ou relais de fausses informations.
Tweet diffusé par Ignace Sossou
« Le Code du Numérique est comme une arme braquée sur la tempe des… Journalistes » – Le Procureur Mario Mètonou @CFImedias #VérifoxAfrique #Bénin
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Question du modérateur (à la 57e minute des débats) :
Monsieur le procureur, l’insuffisance des textes facilite votre travail mais est-ce que, pour autant, on doit maintenir les choses en l’état ?
Réponse de M.Métonou :
Sûrement pas. Lui (le Pr Marius Dossou Yovo ndr ) c’est un homme de doctrine. Son travail c’est d’écrire, c’est de critiquer les textes qui sont votés ou qui ne sont pas votés et donc de faire en sorte que l’attention soit appelée sur les vides qui existent. Donc voilà ce que lui peut faire concrètement.
Moi en tant que Procureur c’est au détour de différentes décisions, je l’ai dit tout à l’heure, toutes les décisions qui sont prises en la matière, de faire un point de la jurisprudence et montrer que la législation actuelle telle qu’elle est, en fait, n’est pas gage de sécurité pour les justiciables, parce que lorsque vous venez au tribunal vous devez avoir, il y a ce qu’on appelle la prévisibilité de la justice.
Tweet diffusé par Ignace Sossou
« La législation béninoise telle qu’elle est n’offre pas une sécurité judiciaire aux justiciables« – Le Procureur Mario Mètonou @CFImedias #VérifoxAfrique #Bénin
Le Procureur avait demandé à ce que le journaliste retire les trois messages qui le citaient. Parce qu’incomplètes, ces publications pouvaient expliquer leur retrait. Sollicité par nos équipes et différentes parties prenantes, Ignace Sossou n’a pas voulu entendre que les messages qu’il avait diffusés pouvaient lui porter atteinte tout autant qu’ils étaient préjudiciables à CFI ainsi qu’aux participants et intervenant du forum.
Le courrier signé par CFI le 19 décembre avait pour unique objet de rappeler que CFI est attaché à la déontologie des médias autant qu’à leur professionnalisme. Il indiquait, en des mots malheureusement mal choisis, que par ses posts, Ignace Sossou se mettait en porte-à-faux avec la rigueur exigée par le métier. Et ce d’autant qu’il les a rédigés pendant un forum portant principalement sur l’impact des infox et l’utilité de la vérification des faits.
Nous regrettons autant les propos incomplets qui ont conduit à la situation juridique actuelle, que la formulation maladroite d’une lettre dont la finalité a été dévoyée et l’usage qui a été fait d’un courrier n’ayant aucune valeur décisionnelle. Les enregistrements audio de la conférence étaient disponibles, pour tirer au clair la question de la véracité des propos de chacun.
Ce courrier a été fait sans aucune intentionnalité à l’encontre du représentant de Bénin WebTV.
Les décisions prises par la justice béninoise reviennent entièrement à cette dernière.
Nous tirons les enseignements de cette situation notamment en étudiant :
- le renforcement des engagements de neutralité et d’impartialité de nos ateliers pour garantir la liberté et la qualité de l’échange multi-parties prenantes de ce cadre.
- L’opportunité d’une charte d’engagement spécifique à notre mission, s’articulant tant autour des principes de liberté de la presse, de déontologie journalistique, que de respect des principes de souveraineté et de développement durable.