Le troisième mandat présidentiel est devenu un jeu de carte sur le continent. Unanimement, des anciens chefs d’Etats aux côtés du président du Niger, Mahamadou Issoufou, président en exercice de la CEDEAO ont dit « Non » à un troisième mandat présidentiel. C’était lors du forum sur la limitation des mandats présidentiels en Afrique qui s’est achevé le 4 octobre 2019 à Niamey. Presqu’un an après, les candidatures d’Alassane Ouattara et Alpha Condé sonnent-elles pas comme un échec ?
« Le bon exemple commence par soi-même », dit-on. Le président Mahamad Issoufou à l’ouverture de ce forum de trois jours avait réitéré son engagement à passer le témoin en 2021 à « un successeur démocratiquement élu », au terme de son second et dernier mandat constitutionnel. Une première dans l’histoire du pays depuis son indépendance. Épris de l’alternance démocratique et mieux devenus des exemples, les ex-chefs d’Etats : Goodluck Jonathan du Nigeria, Catherine Samba-Panza de la Centrafrique, Nicéphore Soglo du Bénin et Amos Sawyer du Libéria ont convié les dirigeants africains à éviter de s’immortaliser au pouvoir.
Un an après, c’est l’indifférence
Le président Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire et son homologue Alpha Condé de la Guinée semblent indifférent à cet appel de légendaires dirigeants du continent. En optant pour un troisième mandat, ces derniers dans l’indifférence totale vis-à-vis de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) violent le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de l’instance communautaire. Les dispositions de l’article 1, alinéa 2 de son protocole stipulent que « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».
Alors qu’attend la CEDEAO, pour mettre fin au vent de sédition qui plane sur la Côte d’Ivoire et la Guinée ? Pour rappel, le président Issoufou a tenté en vain de contraindre le président guinéen Alpha Condé à surseoir la tenue de son référendum constitutionnel. Il l’a fait, malgré le retrait de la mission d’observation de l’instance. Et on lui permet même de participer à la visio-conférence sur la crise au Mali, au même titre que son acolyte ivoirien Ouattara. Des faiblesses de l’instance qui démontrent clairement que les individus en sont au dessus.
Une institution forte et non des hommes forts
Farouches opposants contre un régime jugé dictatorial, icônes de la lutte contre l’injustice et donneurs de leçons, c’est avec incompréhension que plusieurs peuples d’Afrique se réveillent dans la trahison de ceux, qui hier leur donnaient de l’espoir. Alpha Condé arrivé au pouvoir en décembre 2010 a été réélu en 2015 pour un dernier mandat constitutionnel. Dix ans après, son intention de devenir « le Mandela de la Guinée » n’a été qu’une entourloupe.
Contrairement à son appétit du fauteuil présidentiel, la légende Nelson Mandela, malgré la possibilité de continuer, avait pensé très tôt à l’alternance pacifique. Il a vite quitté les choses (avec aujourd’hui par référence un an de moins que condé) ce qui n’est pas le cas de l’actuel homme fort de la Guinée qui à 82 ans est toujours obnubilé par le pouvoir, malgré la situation socio-politique dans son pays. En 2003, il s’est même opposé à l’amendement constitutionnel, ouvrant la voie à un 3e mandat de Lansana Conté. L’histoire se répète ?
Le président Alassane Ouattara dans un rétropédalage ahurissant, a accepté de briguer un 3e mandat (illégal), à la suite du décès de son premier ministre. Alors sur invitation de son parti le RHDP, le Chef d’Etat ivoirien a annoncé officiellement sa candidature le 6 août. Arrivé au pouvoir en 2011 par les armes, grâce au soutien de la France, il a hérité d’un pays divisé par la guerre (on parle de près de 3000 morts). Au crépuscule de son règne, la sécurité et la réconciliation ont été donc au premier plan.
Cependant, ses opposants lui reprochent d’avoir utilisé la justice contre eux. Ce qui justifie cet échec sur le plan « réconciliation ». A 78 ans, le président Ouattara n’a de soutien que de son parti, le RHDP. Ses anciens alliés notamment le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire de Henri Konan Bédié), l’UDPCI (l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire de l’ex-ministre Abdallah Albert Mabri Toikeusse), lui sont opposés pour l’élection présidentielle du 31 octobre prochain. Guillaume Soro et Laurent Gbagbo ont été radiés des listes électorales par une décision de justice. Ce qui n’a pas empêché leurs soutiens de déposer leurs candidatures.
Tous les moyens sont bons pour faire taire le peuple (qui subit mais ne rompt pas), une fois qu’on a le pouvoir. Le rejet par les partisans de l’opposition de cette « forfaiture » a accouché de plusieurs jours de manifestations. Lesquelles ont été réprimées. Ce qui a fait réagir Amnesty International. L’organisation « a interrogé plusieurs témoins oculaires et recueilli des informations qui confirment que les femmes manifestaient les « mains nues » au moment où elles ont été attaquées par des groupes de jeunes armés de machettes et de gourdins ».
Face à ces deux cas, des questions taraudes. Qui est le vrai bourreau de la démocratie ? Le peuple ou ses dirigeants ? Qu’est ce qui peut expliquer ce changement de face des dirigeants africains, une fois au pouvoir ? Pourquoi la CEDEAO est restée juste que là aussi doux ? L’Afrique a-t-elle encore du chemin pour bannir ces pratiques ?
« L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions« , extraits d’un discours de l’ex président américain Barack Obama, en juillet 2009 au Ghana. C’est à réintégrer dans nos habitudes car les bons exemples, ce n’est pas ce qui manquent au sein de la communauté.