Même soutenu par les présidents Mahamadou Issoufou du Niger, Macky Sall du Sénégal et Muhamadu Buhari du Nigéria, le président déclaré élu de Guinée-Bissau par la Commission électorale, Umaru Sissoco Embalo, va devoir manœuvrer avec un déficit de légitimité, notamment au sein de la Cedeao et face à d’autres institutions internationales. Entretien
Ce qui se passe actuellement en Guinée Bissau était-il prévisible en amont du scrutin présidentiel ?
La crise post-électorale que traverse actuellement la Guinée-Bissau
est le prolongement de celle de 2015, déclenchée après le limogeage en août de
la même année de l’ancien premier ministre par ailleurs président du PAIGC,
Domingos Simoes Pereira, par l’ancien président José Mario Vaz. Elle était
articulée autour du contrôle du PAIGC et du pouvoir politique en Guinée-Bissau
et opposait deux factions au sein même du PAIGC: la direction actuelle du PAIGC
dirigée par Pereira et un groupe de dissidents soutenant le président Vaz et
qui a créé le MADEM-G15 (Mouvement pour
l’alternance démocratique, ndlr) en 2018.
La persistance de cette crise et la paralysie des
institutions qui en a résulté malgré les efforts de médiation de la CEDEAO
soutenue par les acteurs internationaux et ayant abouti à l’Accord de Conakry du
14 octobre 2016, a amené les acteurs internationaux à privilégier les élections
législatives comme solution de sortie de crise au détriment de la table ronde
de dialogue nationale et de la mise en œuvre des réformes prioritaires
(révision de la constitution et des lois électorales) avant les élections
prévues par l’accord de Conakry. Or, l’organisation des élections législatives
puis présidentielles sans un dénouement préalable de la crise laissait présager
la situation dans laquelle on se trouve actuellement.
La Cour suprême avait en
vain ordonné un recomptage des suffrages obtenus par les deux finalistes de la
présidentielle. Cet épisode ne reflète-t-il pas la faiblesse des institutions ?
Pourquoi la Commission électorale n’a pas suivi la Cour suprême ?
Le bras de fer entre la Cour suprême de justice,
organe judiciaire suprême faisant office de Cour constitutionnelle (ou Conseil
constitutionnel) et la Commission électorale nationale indépendante (CNE)
révèle en effet la faiblesse des institutions. Il est intervenu dans un
contexte tendu marqué par des pressions internes et externes ne permettant pas
aux deux organes impliqués dans le processus électoral de faire sereinement
leur travail.
Cette controverse n’avait non seulement pas sa raison
d’être, mais elle révèle surtout deux aspects à notre avis : la propension
des acteurs clés de la scène politique bissau-guinéenne à interpréter de façon
abusive et partisane la loi fondamentale du pays, et une tradition de remise en
cause des décisions des institutions de la république pour préserver leurs
intérêts partisans. Elle renseigne en outre sur la nécessité de concrétiser les
réformes institutionnelles pour clarifier les dispositions constitutionnelles
et électorales floues qui favorisent toutes sortes d’interprétations. Dans ce
cadre, la création d’une Cour constitutionnelle capable de faire prévaloir la
lettre et l’esprit de la Constitution avec une autorité morale et technique
supérieure à celle d’une Cour suprême doit être sérieusement envisagée.
Après
avoir donné l’impression de faire pression sur la Cour suprême pour avaliser
les résultats proclamés par la CNE, la Cedeao dénonce quasiment un coup d’Etat.
Comment expliquez-vous ce revirement ?
La CEDEAO, en “prenant acte des résultats définitifs
du deuxième tour” et en félicitant Embalo dans son communiqué du 22 janvier
alors même que le contentieux électoral n’était pas encore vidé par la Cour
suprême, donnait en effet l’impression de mettre la pression sur cette
dernière. Cette posture a non seulement fragilisé la Cour, mais aussi rendu
difficile la gestion du contentieux électoral.
Mais il faut rappeler
que la CEDEAO est, depuis le coup d’état d’avril 2012, l’acteur clé du
processus de stabilisation de la Guinée-Bissau. Elle avait réussi quasiment
seule à mettre en place une transition, envoyé dans la foulée une mission
diplomatique et militaire chargée de sécuriser les institutions, et soutenir le
pays dans la Réforme du secteur de la défense et de la sécurité. Elle a par la
suite tenté de corriger cette erreur en appelant la Cour suprême et la CNE à
collaborer et à finaliser le processus électoral dans son communiqué du 21
février. Mais c’était trop tard.
Le
nouveau régime est-il légitime ? Comment pourrait-il évoluer en solo dans
l’espace Cedeao ?
Face à la persistance du bras de fer entre la Cour
suprême et la CNE qui retarde la proclamation des résultats définitifs, Embalo,
déclaré vainqueur à quatre reprises par la CNE, a jugé nécessaire d’organiser
sa propre investiture. Il a par la suite nommé un premier ministre et mis en
place un gouvernement. L’investiture de Sissoco comme président de la
République et le Gouvernement de Nuno Gomes Nabiam ne sont pas reconnus,
notamment par la CEDEAO qui considère qu’ils sont faits “en dehors cadres légaux
et constitutionnelles”. Cette situation a créé un malaise au sein de la CEDEAO,
mais aussi de la communauté internationale qui, visiblement, refuse de
cautionner ce “coup de force” qui semble remettre en selle certains acteurs
militaires sous sanction des Nations unies et qui sont soupçonnés d’être
impliqués dans le trafic de drogue. Il sera donc difficile à Sissoco d’évoluer
dans un environnement régional, continental et international où les acteurs
refusent de le reconnaître comme président.
Quels
sont les rapports de forces entre les protagonistes de la crise ? Embaló
peut-il s’installer durablement à Bissau ? Où se situe l’armée ?
L’armée a souvent joué un rôle politique déterminant
en Guinée-Bissau. Elle est à l’origine de plusieurs coups d’état, le dernier
datant d’avril 2012. Mais depuis ce coup, elle est restée hors du jeu politique
en gardant une certaine neutralité. D’ailleurs le Chef d’état-major général des
armées, Biagui Nantam, nommé en 2014, a souvent rappelé que les militaires resteraient
désormais « en dehors des querelles politiques ». Mais son positionnement actuel auprès de
Sissoco rompt d’avec cette posture de neutralité et laisse croire qu’il y’a
effectivement une tentative de certaines factions de cette armée d’influencer le
jeu politique.
Son alliance avec les militaires est déterminante ?
Effectivement, l’alliance politico-militaire mise en
place lui donne une certaine avance sur son adversaire du PAIGC. Il a cependant
deux handicaps. Il ne bénéficie pas de la légitimité nécessaire d’autant plus
que le contentieux électoral n’est pas encore vidé par la Cour suprême et sa
prise de fonction est considérée comme illégale. Il n’a pas encore reçu le
soutien diplomatique qu’il espérait du fait non seulement de ce manque de
légitimité mais aussi de l’implication de l’armée, notamment de figures
militaires à la réputation controversée. C’est justement sur ces deux aspects
que semble se focaliser le PAIGC, qui essaie de mobiliser l’opinion publique
nationale et internationale contre ce qu’il considère comme un “coup d’état”.
Même si le PAIGC semble affaibli sur le plan interne du fait de l’absence de
soutiens solides au sein de l’armée, il reste que ce parti déploie une
stratégie diplomatique qui lui permet de rester dans le jeu politique. Le
gouvernement d’Aristides Gomes est considéré comme le seul légitime par les
acteurs régionaux et internationaux. Au regard de ces éléments là, le défi
d’Embalo à court et moyen terme est de maintenir l’unité de cette coalition
composée d’acteurs politiques et militaires aux intérêts multiples et
divergents.