[Opinion] : L’Afrique de l’Ouest n’a pas besoin d’une force antiterroriste supplémentaire

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Image utilisée pour illustration. Ph : ISS

Ce 14 septembre, les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tiendront un sommet extraordinaire sur le terrorisme à Ouagadougou, au Burkina. La réunion vise à passer en revue les initiatives antiterroristes existantes dans la région et à convenir des priorités dans le cadre d’un plan d’urgence.

L’Afrique de l’Ouest connaît une forte augmentation de l’insécurité. La menace terroriste s’étend au-delà du Sahel vers les pays côtiers et les conflits locaux qui menacent la cohésion sociale dans la région du Liptako-Gourma se multiplient. Les activités criminelles, tels que le trafic d’armes et de drogue, l’exploitation minière illégale et le vol de bétail sont en hausse. Plusieurs pays de la région ont également des élections à venir. Les conditions de sécurité fragiles dans lesquelles elles se dérouleront pourraient exacerber la concurrence et les tensions politiques et aggraver les vulnérabilités existantes.

La CEDEAO doit revendiquer un certain leadership dans la lutte régionale contre le terrorisme. Elle doit combler les lacunes par la coordination stratégique, l’identification et le partage des meilleures pratiques, l’orientation et la création de synergies.

Il y a eu beaucoup de rivalités institutionnelles contre-productives entre l’ONU, l’Union africaine, la CEDEAO et le G5 Sahel dans la lutte contre le terrorisme dans la région. Beaucoup de temps a été perdu à se disputer la visibilité, la crédibilité et le financement.

Des conditions de sécurité fragiles pourraient exacerber les tensions politiques en temps d’élections

Les décisions prises lors du sommet du 14 septembre pourraient générer une nouvelle dynamique institutionnelle autour de la coopération et un changement indispensable dans la manière de prévenir et contrer le terrorisme sont conçus et exécutés en Afrique de l’Ouest.

La CEDEAO gagnerait à utiliser l’expérience de l’organisation dans les opérations de paix et sa stature régionale pour faire valoir les avantages comparatifs des initiatives de stabilisation existantes en proposant un mécanisme de coordination constructif et efficace entre elles. L’organisation pourrait également exercer un leadership politique cohérent, notamment en traitant avec les partenaires extérieurs dont l’appui s’accompagne souvent de contraintes et d’intentions.

La réunion de cette semaine examinera les principales propositions contenues dans le rapport final de la réunion des chefs d’état-major de la défense, des chefs des services de sécurité et des chefs des services de renseignement de la CEDEAO, tenue à Niamey, au Niger, les 28 et 29 août. Il s’agit notamment de la proposition d’activer le “déploiement de la Force en attente de la CEDEAO pour contribuer à la lutte contre le terrorisme”.

Une force supplémentaire dans le contexte de sécurité actuel créerait toutefois davantage de concurrence pour des ressources et des moyens financiers déjà limités. Cela alourdirait également la tâche des forces de défense et de sécurité dans les pays touchés qui sont déjà à court d’effectifs.

La CEDEAO a résolu la crise politique et institutionnelle de 2012 au Mali, mais pas la crise sécuritaire. L’absence d’une option sécuritaire crédible est devenue évidente en 2013, lorsque des groupes extrémistes violents ont commencé à descendre vers le centre du Mali. C’est la France que le gouvernement intérimaire malien a dû appeler à l’aide.

La CEDEAO doit revendiquer un certain leadership dans la lutte régionale contre le terrorisme

Cette situation a déclenché le déploiement précipité de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA). Des difficultés de financement ont conduit le transfert en juillet 2013 des troupes africaines sous le commandement de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Depuis lors, la CEDEAO et l’UA ont été reléguées à des rôles de second plan dans la gestion de la crise au Mali.

Ces dernières années ont vu l’émergence de plusieurs initiatives sous-régionales de lutte contre le terrorisme, au fur et à mesure que la menace terroriste s’est étendue dans les pays du bassin du lac Tchad et du Sahel. Ces coalitions ad hoc chevauchent les communautés économiques régionales existantes en Afrique de l’Ouest, du Centre et du Nord.

C’est le cas par exemple de la Force Multinationale Mixte (FMM) contre Boko Haram, déployée en 2013 par cinq pays (le Bénin, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad) et qui opère dans le cadre de la Commission du bassin du lac Tchad. Le Cameroun et le Tchad sont membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et les trois autres sont membres de la CEDEAO. La Commission du bassin du lac Tchad a également adopté une stratégie régionale de stabilisation, de redressement et de résilience des zones du bassin du lac Tchad affectées par Boko Haram.

Le G5 Sahel réunit le Burkina, le Mali, le Niger (tous membres de la CEDEAO), la Mauritanie (membre de l’Union du Maghreb arabe) et le Tchad (qui appartient à la CEEAC). Le Secrétariat permanent du G5 Sahel, basé à Nouakchott, a adopté un Programme d’investissements prioritaires portant sur la résilience, les infrastructures, la gouvernance et la sécurité.

La Force conjointe du G5 Sahel, lancée en 2017, a été mandatée pour lutter contre les groupes terroristes et criminels ainsi que contre les migrations illégales dans les zones frontalières des pays du G5, en se concentrant initialement sur la région du Liptako-Gourma. L’impact de cette force est de plus en plus remis en question. Elle n’a ni stabilisé la région, ni obtenu le soutien de la population locale. Elle affirme que cela est dû à des contraintes financières et à des retards dans la livraison de ses équipements.

Une force supplémentaire créerait davantage de concurrence pour des ressources déjà limitées

Le dernier exemple d’arrangement sous-régional ad hoc de sécurité est l’Initiative d’Accra. Créée en 2017, elle est composée du Bénin, du Burkina, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Togo. Le Mali et le Niger ont obtenu le statut d’observateur en 2019. Tous les membres de l’Initiative sont également membres de la CEDEAO et trois d’entre eux – le Burkina, le Mali et le Niger – sont membres du G5 Sahel. Elle vise à faciliter l’échange d’informations entre les services de renseignement des pays membres et la conduite d’opérations militaires conjointes.

La marginalisation de la CEDEAO dans la prévention du terrorisme en Afrique de l’Ouest n’est pas seulement due à des faiblesses dans la gestion de la crise sécuritaire au Mali ou à l’émergence ou au renforcement des acteurs institutionnels ad hoc. Elle doit également être comprise à la lumière de la crise de leadership au niveau de la commission et des États de la région.

La détérioration de la situation sécuritaire régionale et l’expansion de la menace offrent paradoxalement l’occasion d’améliorer la collaboration entre les différentes institutions. La CEDEAO devrait s’efforcer de favoriser une coopération plus étroite et la création de partenariats plus créatifs entre les initiatives existantes.

Le renforcement de la collaboration au sein des structures existantes, l’octroi d’un statut spécial aux États intéressés qui pourraient fournir des capacités supplémentaires et la promotion d’une plus grande attention aux initiatives non militaires/sécuritaires pourrait opportunément contribuer à améliorer la sécurité.

Pour prévenir et contrer efficacement le terrorisme, il faut un changement de paradigme. Les recherches menées par l’Institut d’études de sécurité démontrent que les groupes extrémistes violents en Afrique de l’Ouest et au Sahel se nourrissent d’une multiplicité de vulnérabilités étatiques localisées liées aux problèmes de gouvernance politique, sociale, économique et sécuritaire. 

Alors qu’ils s’apprêtent à avaliser une stratégie militaire et sécuritaire coordonnée, les dirigeants de la CEDEAO devraient mettre l’accent sur deux points. D’une part, afin d’éviter de grossir les rangs des groupes extrémistes violents, ils doivent s’assurer que les interventions respectent les droits de l’homme et ne stigmatisent pas des communautés données. D’autre part, ils doivent veiller à ce que ces mesures sécuritaires/militaires ne soient qu’un élément d’une stratégie plus vaste qui comprend la prévention, le développement et les interventions socio-économiques à court, moyen et long termes. 

Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice Régionale, Bureau de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad