Niger: Sur les traces d’une migrante ouest-africaine en escale forcée à Niamey

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Reportage réalisé par Souéba Tahirou, dans le cadre de production médiatique initiée par APAC-Niger et l’association néerlandaise FREE PRESS UNLIMITED

De nationalité nigériane, Hadiza, qui s’est rebaptisée Patience, après qu’elle s’est reconvertie en christianisme, est originaire de Kogi State. Avant sa mésaventure, elle vivait à Kano avec sa famille. Patience fait partie de ses milliers d’africains qui, en quête d’un avenir « prometteur » ont décidé de quitter leur pays d’origine pour une aventure en Europe ou toute autre destination qu’ils croyaient être un eldorado. Cette voie de la migration qu’empruntent beaucoup de jeunes africains, notamment les jeunes femmes n’est pas sans conséquences sur leur devenir. Ces migrantes y subissent toutes sortes d’atrocités. Battues, maltraitées et exploitées, elles sont soumises aussi à la prostitution.

La plupart de ces femmes transitent par le Niger dans leur marche « tortueuse » vers l’Europe qui, dans la plus part des cas, finissent par être un véritable cauchemar. Au Niger, pays devenu un passage obligé pour ces migrants qui cherchent à atteindre l’Europe par les portes de la Libye ou de l’Algérie, bon nombre de ces femmes sont accueillies par des organisations humanitaires qui leur offre une assistance qui malheureusement, ne répond pas à leurs besoins essentiels.

Conséquences : certaines se transforment en mendiantes pour se nourrir, d’autres se livrent à la prostitution pour satisfaire à leurs besoins primaires, pouvoir économiser de l’argent afin de poursuivre l’aventure ou retourner dans leur pays d’origine.

La plus part de ces femmes prétendent avoir été trompées par des personnes qui se sont portées garantes, moyennant une certaine somme, à leur faciliter leur voyage jusqu’en Europe.

« C’est un compatriote, un homme d’ethnie Ibo que j’ai rencontré à Kano qui m’a entrainé dans cette situation », affirme Patience qui, auparavant s’appelait Hadiza. L’homme m’a convaincue, poursuit-elle, « à m’amener en Italie, moyennant une importante somme d’argent. De l’argent que « j’ai pu avoir auprès de ma mère, environ 2,5 millions Fcfa. Cet argent n’appartient pas à ma mère. C’est l’argent de la tontine de beaucoup de femmes que ma mère a pris le risque de me remettre pour payer ce voyage, ou disons cette mésaventure », se souvient-elle

Une fois le montant encaissé, « l’homme m’a amené, dans un premier temps à Zinder. Il m’a logé dans une maison. Je ne connaissais pas le Niger avant et il m’a fait comprendre que c’était juste une case de passage. Je suis restée à Zinder deux semaines durant lesquelles il était très difficile pour moi et deux autres femmes, avec lesquelles nous étions dans cette même situation, de pouvoir manger. Je n’avais pratiquement rien. Tout ce que j’avais, je l’avais remis à cet homme. C’est un de ses petits (un complice à lui)) qui me trouvait quelque chose à manger, une seule fois dans la journée. Nous ne pouvons aller nulle part car ils nous faisaient peur en disant que si on sort, nous serons arrêtés par la police et dès lors, nous avons peur et on n’avait pas le choix que de rester enfermer dans la maison. De Zinder, il m’a amené à Agadez où je n’ai passé que deux jours».

C’est à cette étape que  » mon gourou m’a dit que son voyage à lui s’arrêtait là, que moi je dois continuer sur Arlit, qu’il appellerait quelqu’un pour passer me chercher à la gare d’Arlit. Il m’a dit, qu’une fois là-bas, mon passeport me sera rendu pour pouvoir faire le voyage en Italie « .

Arrivée à Arlit, nous raconte Patience, « une femme est venue me chercher à la gare de RIMBO et m’a conduit ensuite chez elle. J’ai fait remarquer à cette femme que jusque-là et ce depuis le début de mon aventure, on a traversé que des villages, aucune ville comme celles que je voyais sur les photos. Elle m’a fait comprendre que mon voyage vers l’Italie va commencer à partir d’Arlit « .

C’est arrivée chez cette femme qu’elle me fait comprendre qu’en réalité, elle m’a achetée auprès de cet Ibo qui prétend m’amener en Italie.

« Dans la maison où elle m’a amené, il y’avait beaucoup d’autres jeunes femmes comme moi que la dame forçaient à la prostitution. C’est ainsi qu’elles arrivaient à se nourrir. L’argent que ces jeunes dames gagnaient revenait à la dame de maison. C’est quand chacune de ces filles arrivait à réunir la somme de huit cent milles (800.000) franc CFA, voir un million (1.000.000) de franc qu’elle leur rendait leur liberté et c’est en ce moment que chaque femme va aller vivre ailleurs, toute seule pour subvenir à ses besoins quotidiens et pouvoir réunir une certaine somme pour soit rentrer dans son pays ou continuer le chemin de l’Europe. Je vois certaines de ces filles ici à Niamey, on se rencontre à la Croix rouge et elles me racontent que jusque-là, elles sont exploitées par des hommes comme le faisait la dame qu’elles ont quittée. Au début, la femme voulait que je fasse la même chose, mais moi, je lui ai fait comprendre que ce n’est pas ce qui m’a fait sortir de mon pays, que suis là pour un travail descend. Après des menaces qui n’en finissaient pas et le rappel qu’elle me fait pour dire qu’elle m’a acheté et qu’elle m’héberge, elle finit par me demandé si j’ai fait des études, je lui ai répondu par l’affirmative. Je lui ai dit que j’ai fait même des études supérieures. Ayant entendu que j’ai fait des études supérieures, la femme a pris peur, craignant l’a dénoncé auprès des autorités. Elle m’a mise en relation avec un autre homme qui m’a conduit à Tamanrasset en Algérie. Lui aussi m’a ensuite abandonné dès notre arrivée à la gare « .

A Tamanrasset va renouer encore avec la prostitution. « C’est dans cette vie de prostitution que j’ai rencontré une femme que j’ai connue à Kano au Nigéria. J’ai raconté ma mésaventure à cette dernière qui m’a fait comprendre que je me suis faite arnaquée ».

Dans cette ville,raconte-telle, « je n’avais rien comme argent pour continuer mon périple vers l’Italie, ou pour mettre un terme et rentrer chez moi. C’est là que j’ai été violée par dix hommes à Tamanrasset. La femme nigériane que j’ai rencontrée là-bas m’a conduit à l’hôpital pour me faire soigner et qui m’a ensuite hébergée chez elle. Malheureusement pour moi, cette femme c’était le diable. Elle m’obligeait à me prostituer et je n’avais pas le choix car c’est avec cette condition qu’elle me donnait un lieu pour dormir et me nourrissait deux fois dans la journée (les matins à partir de 12h et le diner). Après quelque temps passé chez elle, cette dernière  m’a trouvé un travail de domestique, qui devait être rémunéré à la fin de chaque mois, chez des arabes. Les mois passaient, je ne recevais aucun salaire pour mon travail et je ne savais pas comment m’enfuir de cette maison dans laquelle je suis cloîtrée. Là aussi, je me suis fait violée par huit hommes à la demande de mes employeurs. Au cours de ce viol, j’ai perdu une dent, ils m’ont aussi coupée, au bras et à la jambe, avec un couteau. J’ai vraiment beaucoup souffert en Algérie. Une fois au dehors de chez ces arabes où j’ai compris à la fin que c’est à elle ces arabes donnaient mon salaire de tous les mois que j’ai eu à passer chez eux, je marchais dans la rue quand j’ai rencontré une femme de mon village à qui j’ai raconté toute ma mésaventure. Elle m’a accueilli et hébergé chez elle. Elle m’a elle aussi trouvé un travail de domestique. Je marchais de chez elle jusqu’à mon lieu de travail. Avec toute cette souffrance, je n’avais rien à manger et je ne pouvais rien réclamer à ma locatrice n’ayant aucune force. Sur le chemin de retours de mon travail, j’ai été violé une troisième fois des hommes et depuis lors je n’ai plus recouvert ma santé. Telle que tu me vois actuellement, je n’étais pas du tout comme ça avant. J’ai passé deux ans en Algérie, deux ans durant lesquelles j’ai beaucoup souffert. Un jour j’étais au marcher quand j’ai été  prise par la police et renvoyée à Arlit sans rien. Ni habits, ni argent, j’ai tout laissé là-bas, même mes papiers tous mes diplômes. Le seul habit que j’ai, c’est celui que je portais au moment de l’arrêt ».

D’Arlit, Patience et plusieurs autres personnes vont être rapatriés à Agadez puis à Niamey.

« Je suis là à Niamey depuis le mois d’octobre presque un an  sans aucun travail. Je vivais à la gare au début et je pratique la mendicité pour pouvoir me nourrir. Je raconte ma mésaventure à ceux que je rencontre et les bonnes volontés m’aident de temps à autre, certaines avec des habits ou de la nourriture, d’autres avec de l’argent que j’utilise pour payer de l’eau à boire ou pour prendre un bain. Je suis toujours malade à cause des multiples viols dont j’ai été l’objet en Algérie. Je vais, chaque jour à l’hôpital mais je n’arrive toujours pas à recouvrir ma santé et il m’est de plus en plus difficile de trouver de quoi manger. Je suis ici malade et sans travail, c’est quand je me sens un peu mieux que je sors pour mendier pour pouvoir manger« .

« Je voulais aller en Italie pour travailler et étudier aussi si j’ai la possibilité. J’ai trois enfants que j’ai laissés en me lançant dans cette aventure. Ça fait presque 3 ans que je n’ai pas vu mes enfants, je n’ai rien, même pas de l’argent pour me rendre à Agadez. La croix rouge, nous appellent deux fois dans le mois pour nous préparer à manger et nous remettre à chaque fois 2.000 F chacune. Et quand je suis malade je parts les voir ils m’amènent à l’hôpital et me payaient les produits qu’on me prescrit. C’est eux même qui m’ont payé ce portable à 5.000 F ».

Avec mon diplôme, « je n’ai pas eu de travail dans mon pays. Là-bas au Nigéria, j’ai fait des études de secrétariat. Un temps j’avais trouvé du boulot et je travaillais en tant que cuisinière pour le personnel d’une société étrangère, mais la société a eu des difficultés financières, au point de licencier une partie des employés. Il n’y a pas de travail là-bas. Certains n’arrivent pas à avoir du travail au Nigéria, la prostitution reste la seule alternative. Beaucoup d’entre nous qui sont ici, souhaitent rentrer chez eux mais n’ont pas les moyens de le faire c’est pour ça qu’ils restent ici ».

Patience n’a plus revu le monsieur à qui elle a donné son argent, elle n’a vu non plus entendu personne parler de lui. N’ayant plus rien, elle ne peux même plus retourner chez elle à cause de l’argent de la tontine empruntée à sa mère. Elle a choisi ainsi de rester bloquée à Niamey.

Patience ne compte pas rentrer, si jamais elle rentre, elle irait directement en prison, faisant certainement allusion au montant que sa mère a emprunté pour lui permettre d’aller en aventure.

« Il me faut obligatoirement cet argent. Si je trouve un travaille ici, je reste pour le faire et je paierai petit à petit l’argent. Une fois terminé, je pourrai rentrer à la maison. Je leur dirai que je vis et je travaille au Niger mais que je ne pourrai pas revenir définitivement à la maison. Je prendrai mes enfants avec moi et reviendrai vivre ici ». Ici à l’église Garbado où vous avez eu à me rencontrer j’ai plusieurs fois parlé de mon projet avec certaines personnes. Seulement je n’ai pas toujours pas eu de soutien. La dernière fois, des blancs sont venus nous interviewer, nous avons cru qu’ils allaient revenir mais ils ne l’ont pas fait ».

Aujourd’hui ce qui préoccupe le plus Patience, « c’est trouver l’argent qu’elle a emprunté car selon ses dires, son père même a été arrêté par la police.

« J’ai peur de rentrer ou de les appeler à cause de ça. Si je trouve cet argent je pourrais rentrer et leur remettre ou bien si je trouve un peu d’argent je pourrais rester ici avec mes enfants et faire un petit commerce. C’est ce que je cherche et c’est d’une aide comme ça dont j’ai besoin«