Libertés publiques et Droit de rassemblements pacifiques et d’association : « Le Niger doit se ressaisir… »

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Clément Nyaletsossi Voule

Au terme d’une visite de dix jours au Niger, du 06 au 16 décembre 2021, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le Droit de réunion pacifique et d’association, Clément Nyaletsossi Voule, a appelé les autorités nigériennes à se ressaisir pour garantir les libertés publiques et le Droit de rassemblements pacifiques et d’association, consacrés par la Constitution et les lois de la République. Il a particulièrement appelé les autorités nigériennes à l’ouverture des espaces civiques aux citoyens afin qu’ils s’expriment librement sur les questions de la gestion du pays.

La visite de Clément Nyaletsossoi Voule au Niger intervient dans un contexte où les espaces civiques sont pratiquement toujours restreints aux citoyens. Ce contexte ne favorise pas la jouissance des droits fondamentaux consacrés par la Constitution du pays. « Malgré la volonté des autorités à rompre les pratiques répressives des années antérieures, vis-à-vis de la société civile et des couches socioprofessionnelles, notamment par la création d’un cadre d’échange (…), il n’en demeure pas moins que beaucoup de défis restent à relever pour garantir l’état de droit« , a indiqué Clément Voule.

En effet, l’expert des Nations Unies a évoqué un certain nombre de défis qui mettent à l’épreuve la bonne gouvernance, la démocratie et l’Etat de droit au Niger. Il s’agit principalement de la question sécuritaire, la polarisation de la vie politique, la question de la lutte contre la corruption, l’indépendance de la justice, la pauvreté et l’exclusion, l’absence de dialogue politique et surtout les restrictions des espaces civiques.

La question sécuritaire est tellement prévalente au Niger et elle justifie aussi un certain nombre des restrictions, souligne Clément Voule : « Beaucoup d’organisations de la société civile disent qu’elles ne peuvent pas aller dans certaines régions pour mener leurs activités. Ce qui fait qu’elle (la question sécuritaire – ndlr) a un impact sur la couverture nationale. Et l’impact que cela a, est que les populations les plus vulnérables de ces localités n’ont pas la chance de pouvoir avoir accès aux services de ces organisations ». C’est pourquoi il estime que le contexte sécuritaire nécessite la mobilisation de tous les nigériens pour pouvoir relever ce défi et permettre aux organisations de la société civile de mener à bien leurs actions et aider le gouvernement dans la gestion du pays.

La polarisation de la vie politique

La question de la polarisation de la vie politique au Niger constitue un autre défi ayant un impact sérieux sur la jouissance de droit des libertés publiques, des droits aux rassemblements pacifiques et d’association, a relevé l’expert de l’ONU. « Cette polarisation que j’ai pu comprendre de part et d’autre m’a fait craindre un peu pour me dire, si telle est la perception de certains politiques sur la société civile, c’est dangereux parce qu’en ce moment on a repris à collaborer. Donc la polarisation est un facteur important en ce sens qu’il y a une absence de dialogue entre les partis politiques actuellement », a-t-il révélé.

« La seule entité aujourd’hui qui arrive à s’exprimer et qui apporte des opinions contraires, c’est la société civile. Donc on est en face aussi d’une opposition qui n’est plus active, qui ne couvre plus son espace. Ce qui fait que la société civile est exposée quand elle émet ses critiques, elle est vue comme faisant une opposition politique. Ce qui n’est pas le cas », a indiqué l’expert des Nations Unies.  

La lutte contre la corruption et l’indépendance du système judiciaire altérées

La question de la lutte contre la corruption est également au cœur de défis relevés par M. Voule, qui a constaté que le degré de la corruption dans le pays fait en sorte que les citoyens n’ont plus confiance en leurs institutions. « Il y a ce sentiment au sein de la population que les pays a les ressources pour pouvoir faire face à ces enjeux de développement, à ces enjeux sociaux, mais que la corruption gangrène la vie politique et la vie économique à telle enseigne que le pays a du mal à pouvoir investir dans le développement durable », a-t-il affirmé.

A ce point, le rapporteur spécial des Nations Unies a mentionné qu’il a rencontré la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) afin de voir comment elle travaille et pourquoi jusqu’à présent il n’y a pas eu un cas de poursuite judiciaire des cas de corruption révélés par des rapports. En ce qui concerne l’indépendance de justice au Niger, Monsieur Voule note que les textes prévoient que la justice est indépendante. « Mais on constate malheureusement que dans plusieurs cas, y compris dans les cas liés aux manifestations pacifiques, la justice a montré ses limites », a-t-il déploré.

« J’ai visité la prison civile de Niamey où le nombre des prévenus qui sont en attente de jugement est plus nombreux que celui de ceux qui étaient jugés », a noté Clément Voule, qui constate que les citoyens commencent à manifester une perte de confiance à la justice. Ce qui peut, selon lui, fragiliser l’état de droit. « La justice a les moyens, mais à cause de la lenteur de jugement, à cause aussi parfois des hésitations sur certains dossiers sensibles comme les dossiers sur la corruption. (…) Le citoyen commence à perdre la confiance en sa justice. Et ce n’est pas du tout bon pour la démocratie », a affirmé Clément Voule.

Pauvreté ambiante et dialogue politique

Au cours de sa conférence de presse, l’expert onusien a relevé qu’il y a effectivement une pauvreté ambiante au Niger, classé parmi les pays pauvres au monde. Selon Clément, le citoyen a l’impression que l’Etat a les moyens et que lui (citoyens) est exclu parce qu’il ne fait pas partie d’une tendance politique. Il urge donc de gérer ces questions. Un autre défi relevé, c’est l’absence de dialogue politique au Niger.

« Depuis les dernières élections présidentielles en février, on a l’impression qu’il y a une rupture du dialogue politique. Il existe évidemment un cadre de concertation qui est constitutionnel, mais aujourd’hui malheureusement, je suis au regret de constater que l’opposition n’est plus active dans ce cadre, que le dialogue politique qui devait décrisper la situation, qui devrait permettre aussi au peuple et à l’ensemble des composantes de se retrouver pour discuter des enjeux économiques, sécuritaires, environnementaux et voir comment est-ce que le pays peut faire face à ces enjeux, que ce cadre aujourd’hui est plombé à cause de ce manque de dialogue politique », a déploré M. Clément Voule.

« L’interdiction ne peut être que l’exception… » 

Clément Voule a largement exprimé sa préoccupation sur les interdictions de manifestations par les autorités nigériennes, et notamment sur l’application de la loi 2004 relative à l’encadrement des manifestations. Ainsi, dit-il constater que l’approche de ces autorités, c’est de voir toujours toute déclaration de manifester comme ne pouvant avoir lieu qu’après une autorisation formelle. Or, selon lui, lorsqu’on parle d’autorisation, juridiquement cela ne tient pas « parce que la loi ne parle pas d’autorisation ».

Pour lui, elle précise seulement que lorsque le gouvernement estime qu’une manifestation qui est projetée pourrait porter atteinte à l’ordre public ou pourrait semer des troubles publics, il pourrait prendre des mesures pour l’interdire. « Mais la loi n’instaure pas ce régime comme un régime temporaire, c’est-à-dire que la loi ne fait pas de l’interdiction de principe général ».

Par ailleurs, la difficulté qu’il y a avec cette loi, c’est qu’elle n’a pas défini ce que c’est que le trouble à l’ordre public, « ce qui fait qu’aujourd’hui nous faisons face à une situation où depuis 2018, j’ai constaté par rapport aux demandes et toutes les autorisations qui ont été refusées et toutes les demandes que la société civile, y compris les autres entités ont déposées pour manifester, ont été systématiquement interdites ».

Clément Voule a déclaré que cela fait que « nous passons d’un régime d’interdiction qui devait être essentiellement exceptionnel sur la base d’indices crédibles de trouble à l’ordre public, à un régime qui, dans les faits, bannit complétement les manifestations ». « Je comprends le droit légitime de tout gouvernement à protéger sa population. Mais, la jouissance des droits fondamentaux, garantis par la constitution et les lois, doit être de principe. Et que l’interdiction ne peut être que l’exception », a-t-il ajouté.

Ainsi, estime-t-il que « nous ne pouvons pas renter dans un régime où la constitution et la loi garantissent ces droits, et qu’après trois ans ou pratiquement quatre ans, nous n’assistons qu’à des refus systématiques de manifester ». De ce fait, le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association dit avoir rencontré le maire de Niamey pour comprendre ces interdictions « qui ne sont plus exceptionnelles, mais deviennent la règle ». A l’issue de cette rencontre, il dit comprendre les motivations.

Par contre, il a réitéré sa position sur le fait que l’autorité ne peut pas estimer que tant qu’il n’y a pas la garantie qu’une manifestation ne va pas aboutir à une violence, elle ne l’autorisera pas. « Parce que cette assertion voudra dire en ce moment qu’on prédit déjà que le seul critère d’autoriser une manifestation ou de l’accepter, c’est d’abord que les organisateurs apporte la preuve qu’il n’y aura pas de violences ».

Clément Voule renchérit que lorsque les autorités qui sont en charge d’encadrement de ces manifestations dialoguent avec les organisateurs, et prennent les mesures nécessaires pour l’encadrer, généralement tout risque de violence est complétement écarté : « On ne peut pas mettre à la charge des citoyens qui veulent jouir de cette liberté-là, la preuve que cela ne va pas aboutir à une violence. C’est pour cela que nous avons des forces de l’ordre dans un pays, pour pouvoir collaborer avec les organisateurs ».

Dans le même ordre d’idées, l’expert de l’ONU estime que ce décret de la mairie de Niamey qui interdit les manifestations les jours ouvrables est en complète contradiction avec le droit international. Ainsi, il exhorte les autorités à abroger ce décret « parce qu’il n’honore pas la démocratie nigérienne ».