Des armées sahéliennes face au défi de la transparence et de la corruption

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Un soldat des forces armées du Burkina Faso lors d’un exercice d’entraînement, près de Ouagadougou, en avril 2018. (Photo : ISSOUF SANOGO / AFP)

Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, l’actualité judiciaire de cette année 2020 a encore mis en lumière la tendance au détournement des ressources affectées à la défense et à la sécurité avec des arrestations pour enrichissement illicite provenant de marchés surfacturés et de matériels payés et non livrés.

La plupart des analystes ont conséquemment salué les dénonciations, le rôle des systèmes de contrôle interne et a posteriori des inspections des armées et des services de sécurité, celui des organes de contrôle externe ainsi que la célérité de l’appareil judiciaire. Cependant, deux écueils structurels peuvent entraver durablement la progression des États sahéliens, et plus généralement africains, vers un seuil de transparence acceptable, celui qui préserve les impératifs de sécurité nationale au même titre que les indispensables contrôles politiques, administratifs et citoyens des ressources.

Commerce des armes : des progrès à faire sur la transparence

Le premier écueil a trait, d’une part, au défaut d’adhésion au Traité sur le commerce des armes (TCA) de certains des États exportateurs d’armement vers le continent africain. En tête figure la Russie dont le volume des exportations vers l’Afrique subsaharienne est en croissance ces cinq dernières années avec en 2019 (d’après les chiffres publiés par SIPRI), la moitié (49 %) des équipements militaires achetés en Afrique.

Il faut, d’autre part, noter le faible taux de remise des rapports annuels des États parties pourtant exigée à l’article 13 du traité. Le Niger, par exemple, n’a jamais satisfait à cette obligation. Le Mali, une seule fois, en 2015, et le Burkina Faso ne s’y conforme plus depuis 2018. La transparence et le commerce responsable des armes dont le TCA était porteur à son adoption et son entrée en vigueur en 2013 et 2014 sont aujourd’hui gravement compromis.

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Il est urgent pour les Nations unies et l’ensemble des gouvernements des pays exportateurs et importateurs d’armes conventionnelles de prendre conscience des implications de ce statu quo sur la sécurité internationale, sur la protection des droits humains et la criminalisation des flux financiers liés à ce commerce hautement sensible mais paradoxalement peu régulé.

Car les procédures de transfert qu’instaure le traité et les informations qu’elles permettent de transmettre et de recouper constituent de solides remparts pour préserver un minimum de transparence dans l’exécution des contrats d’armement et un maximum de sécurité collective pour les États parties.

Mettre fin à l’autocensure des parlements sahéliens

Le deuxième écueil tout à fait spécifique aux États sahéliens particulièrement, et africains en général, est lié à l’autocensure des parlements qui renoncent à exercer avec efficacité leurs prérogatives constitutionnelles au motif juridiquement insoutenable que la défense et la sécurité relèvent du domaine réservé du pouvoir exécutif (surtout dans un régime présidentiel). Or, il n’en est rien.

Le rôle prépondérant du Congrès américain dans les mécanismes de contrôle de la mise en œuvre de la politique de sécurité nationale dans un régime présidentiel illustre cette nécessaire répartition et séparation des pouvoirs qui font la démocratie – peu importe que le régime soit parlementaire, semi-présidentiel ou présidentiel.

Cette autocensure politiquement entretenue par les pouvoirs exécutifs, mais aussi par les partis proches du pouvoir et représentés au parlement, est institutionnellement entretenue par le déficit capacitaire des commissions permanentes en charge de la sécurité et de la défense. Celles-ci n’ont pas les ressources humaines et financières nécessaires à l’exercice de leur mandat, notamment sur le plan du contrôle de l’action du gouvernement dans le secteur de la sécurité, particulièrement les marchés publics.

Un meilleur contrôle démocratique pour une sécurité durable

Or avec 20 % des ressources budgétaires nationales affectées à ces secteurs en 2020 au Niger et au Mali, et 12 % au Burkina Faso (bien que les taux d’exécution ne dépassent généralement pas 60 %), ce sont d’énormes ressources qui sont mobilisées auprès des contribuables de ces pays et des pays donateurs, et dépensées sans contrôle ou trop peu.

La supervision et le contrôle démocratique du secteur de la défense et de la sécurité au Burkina Faso, au Mali et au Niger constituent un impératif majeur dans la quête de sécurité et de stabilité durable. Cela passe par la mise en place et le renforcement de systèmes et d’institutions de sécurité tout autant attachés à la reddition de comptes que respectueux des droits humains et de l’État de droit.

Le contexte de transition politique au Mali offre justement l’opportunité pour la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’ensemble des parties prenantes dans ce pays de mettre en œuvre les principes et recommandations du Cadre politique pour la réforme et la gouvernance du secteur de la sécurité adopté par l’organisation sous-régionale en 2016, mais très peu appliqué par ses États membres.

La transparence financière, garantie du soutien de l’opinion

Enfin, l’opacité de principe – et non d’exception – qui entoure les dépenses de sécurité dans la plupart des États africains (et certains non africains) s’inscrit dans une tendance opposée à celle de l’open government pour l’ensemble des recettes et des dépenses publiques. Le rapport 2019 de l’International Budget Partnership (IBP), qui mesure la transparence budgétaire des États à travers « l’indice sur le budget ouvert », révèle ainsi qu’en Afrique de l’Ouest aucun pays n’a encore atteint le seuil de 61 points sur 100, requis pour atteindre une transparence jugée satisfaisante.

C’est dire si les défis en la matière sont absolument cruciaux et que tous gagneraient à contribuer à davantage de transparence. Car l’efficacité opérationnelle des troupes aux prises avec les groupes armés terroristes (GAT) dans la zone sahélienne dépend également – et peut-être surtout – de leur confiance en la légitimité de leurs chefs et des pouvoirs politiques ainsi que de la confiance de la population. Or celle-ci semble, à juste titre, érodée par les scandales de corruption qui se succèdent au même rythme que les tragiques défaites ponctuées de quelques victoires.

Source : ID4D, un blog animé par l’Agence Française de Développement