La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est en émoi au Mali, voire en colère et place le pays sous embargo afin d’obtenir que redevienne d’actualité le statu quo ante : Ibrahim Boubacar Keita Président ou rien !
Qui croit sérieusement que IBK retournera au Palais de Koulouba, à part ceux qui animent la CEDEAO – pour la plupart, des Présidents en plein exercice de tripatouillage des textes de la République pour se pérenniser au pouvoir – et qui pensent être en mesure de repositionner le président déchu dans ses fonctions, sous prétexte qu’il a été forcé de déposer le tablier ?
On démissionne toujours de plein gré ou sous contrainte, que celle-ci résulte de pressions externes directes ou exprime le poids de la conscience devenu insupportable. Dans un cas comme dans l’autre, une démission actée est consommée. Il aurait fallu qu’il eût refusé de se démettre lui-même, même avec une kalachnikov sur la tempe. Encore faudrait-il que les textes de la CEDEAO consacrent une procédure afférente à la démission d’un Chef d’État et qu’il y soit présenté la contrainte comme un vice de procédure.
Lorsque Amadou Toumani Touré (ATT) abdiquait en Avril 2012 au lendemain du putsch qui lui ôta son siège, c’était sous la douce pression de la CEDEAO. Pourtant le putsch de 2012 fut bien plus brutal que celui de 2020. Comparé au premier, le second est un coup doux. Il n’y a pas non plus de commune mesure entre la fronde populaire qui avait précédé le départ de ATT et celle qui a conspué Ibrahim Boubacar Keita ces dernières semaines. Les mêmes qui – au sein de la sous-région ouest-africaine – s’insurgent aujourd’hui, étaient déjà là hier.
Mais admettons ce qui paraît évident à première vue : IBK n’est pas parti de son propre chef. Et supposons que par extraordinaire, la CEDEAO parvienne, dans son élan ferme, à le remettre en selle, pourra-t-on espérer d’elle la même fermeté vis-à-vis d’Alpha Condé en Guinée et d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire ? Les deux sont en train de briguer un troisième mandat dans leurs pays respectifs sur la base d’une lecture biaisée de la Constitution qu’ils ont révisée au préalable à leur guise.
Au passage, les révisions saugrenues, privées et personnalisées des Constitutions ne sont-elles pas des coups d’Etat qui imposent à la CEDEAO d’exiger un rétablissement de l’ordre constitutionnel conformément à son Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, protocole additionnel relatif à son Mécanisme de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ?
Si vers 2026, Talon décrète que la modification de la loi fondamentale qu’il a fait opérer 7 ans plus tôt crée une nouvelle République au Bénin ou s’il remodifie la Constitution à sa convenance et fort de ceci, se porte candidat, imagine-t-on la CEDEAO le rappeler à l’ordre, pas que du bout des lèvres ? Va-t-elle taper du poing sur la table au regard du système d’exclusion mis en place par le régime Talon en vue de ne se donner que des adversaires qu’il désire à la présidentielle de 2021 ? L’a-t-elle fait lors des législatives de 2019 ? Que nenni !
Elle a été médiatrice dans la crise préélectorale née de l’exclusion de toute l’opposition béninoise du scrutin et lamentablement échoué à ramener à la raison le pouvoir dit de la rupture. C’est paradoxalement elle qui, quelques semaines écoulées, prend l’initiative de saluer la bonne tenue des élections, malgré tout ce qu’elles ont drainé d’inédit en matière de brimades, de violences et de morts.
Au Mali, c’est avec sa bénédiction que tous les membres de la Cour Constitutionnelle ont démissionné pour qu’on en installe d’autres. Démission sous contrainte. De surcroît, sa position concernant les députés maliens jugés mal élus est encore fraîche dans les mémoires.
Qu’on se l’inculque ! La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest a, depuis longtemps, ruiné son capital crédibilité auprès de ses citoyens, au fil de ses hypocrisies, de ses camouflages, de ses politiques de « deux poids, deux mesures ». Le désaveu que lui a administré le Burkina Faso post-Compaoré a signé son apogée. Ses tribulations sur le cas du Bénin font sourire.
Elle n’ignore pas au fond qu’elle va, à nouveau, mordre la poussière au Mali car visiblement, le peuple malien s’oppose à ce que M. Keïta se rassoie dans le fauteuil présidentiel. La bronca qui secoue le pays et les réactions qui s’enchaînent depuis la chute de l’homme indiquent que sa résurrection à Koulouba est inenvisageable pour ses compatriotes.
Si la CEDEAO était intelligente, elle prendrait acte de la démission de IBK (puisqu’il a bel et bien démissionné) et travaillerait à un retour immédiat à l’ordre civil. La volonté des peuples vient à bout de ses compromissions.
Une Chronique de Déo-Gratias Kindoho, Journaliste à l’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin (Ortb)