Trafic de drogue au Sahel : Le Mali et le Niger reconnus comme plaques-tournantes

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Le Groupe d’experts, créé en application de la résolution 2374 (2017) du Conseil de sécurité des Nations-Unies sur le Mali a rendu au mois d’août 2019, à ladite institution, son rapport final portant sur la situation sécuritaire au Sahel. Le trafic de drogues et la criminalité organisée, aujourd’hui en pleine expansion dans la région, occupent une place importante dans ce rapport dont L’Evènement a obtenu copie. Ce rapport fait le point de la situation sécuritaire et le trafic de drogues dans la région au cours de la période 2018 – 2019.

S’agissant spécifiquement du trafic de drogues et lacriminalité organisée au Sahel, deux phénomènes qui entravent le processus de paix au Mali, le rapport du Groupe d’experts indique que « les intérêts des chefs de la tribu arabe des Lehmar qui excellent dans le trafic de stupéfiants, sont pour l’essentiel entre les mains de Mohamed Ben Ahmed Mahri, alias « Mohamed Rouggy ». L’homme appartiendrait à un vaste réseau de trafic de résine de cannabis et de cocaïne qui transitent par le Mali. Ce réseau a fait l’objet de plusieurs saisies au Niger, au Maroc et en Guinée-Bissau.

Selon plusieurs renseignements obtenus par les experts, Mohamed Rouggy est en liaison étroite avec Hanoune Ould Ali Mahari, figure de proue du MAA-Plateforme, celui-là même qui a cherché à obtenir la libération de ressortissants maliens, notamment Sid’Ahmed Ben Kazou Moulati, alias Zaneylou, arrêtés à Niamey dans une affaire d’expédition de 10 tonnes de résine de cannabis (haschich) entre avril et juin 2018.

En outre, plusieurs sources de renseignements, selon les experts, ont indiqué que ces deux hommes, principaux dirigeants de la société Tilemsi Distribution et Transport, établie à Niamey et filiale d’une société éponyme de Gao, « Tildis SA », ont été vus ensemble à Niamey en décembre 2017 ». Un autre narcotrafiquant du nom de Mohamed Ould Mataly détient également des parts dans la société Tilemsi Distribution et Transport. Autre preuve qui atteste d’un lien étroit entre ces narcotrafiquants, « Ben Ahmed Mahri est le gendre d’Ould Mataly », selon les informations recueillies par les experts du Conseil de sécurité des Nations-Unies sur le Mali.

S’attardant sur les relations qu’entretiennent ces narcotrafiquants, le rapport du Groupe d’experts, citant des informations communiquées par un État membre de la région du Sahel, indique que « Mohamed Ould Mataly sert de relais politique à des trafiquants de drogues, dont Mohamed Rouggy, en les protégeant contre toute intervention des autorités étatiques, en subornant les services de sécurité et en avertissant les trafiquants de la tribu arabe des Lehmar des éventuelles opérations de lutte contre les stupéfiants ». D’autres informations émanant de plusieurs États membres et de sources confidentielles, citées par ledit rapport, soutiennent que « Ben Ahmed Mahri se livrait également au trafic de cocaïne à destination de la Guinée-Bissau via le Sénégal et le Mali ».

Pour preuve, le 9 mars 2019, les autorités bissau-guinéennes ont saisi 789 kg de cocaïne (d’une valeur de 50 millions de dollars) dans le compartiment secret d’un camion chargé de poisson congelé immatriculé à Thiès au Sénégal. Cette saisie, rapporte le Groupe d’experts, a conduit à l’arrestation de quatre personnes, deux Nigériens, un Sénégalais et un Bissau-guinéen, près de la ville de Safim. « L’un des ressortissants nigériens, Mohamed Sidi Ahmed était en possession d’un passeport nigérien et d’une carte d’identification de l’Assemblée nationale du Niger ». En réaction, les autorités nigériennes ont affirmé qu’il s’agissait de « faux documents et le mis en cause Mohamed Sidi Ahmed est de nationalité malienne ».

Selon le rapport du Groupe d’experts, « Mohamed Ben Ahmed Mahri utilise les revenus tirés du trafic de stupéfiants pour soutenir des groupes terroristes armés, notamment le groupe Al-Mourabitoun. Il a aussi aidé des combattants à se livrer à des hostilités, pour torpiller l’Accord de paix au Mali, en permettant surtout au MAA-Plateforme d’enrôler de nouvelles recrues ».

L’homme a tenté aussi de « soudoyer les autorités judiciaires maliennes pour obtenir la libération de certains terroristes présumés », rapportent les experts du Conseil de sécurité de l’ONU.

D’autres noms des trafiquants à la tête des réseaux criminels qui écument le Sahel sont cités dans ce rapport. C’est le cas de Mahamadou Ag Attayoub, membre de la tribu des Ifoghas/Ifergoumissen. Il serait à la tête d’un réseau criminel affilié à la CMA.

Dans la foulée, le rapport du Groupe d’experts de l’ONU a fait cas du trafic et de la contrebande de cigarettes dans la région du Sahel. « Fabriquées en Grèce, ces cigarettes, entrées en Afrique de l’Ouest par le port d’Abidjan sont arrivées au Mali via le Burkina Faso et le Niger », indique le rapport.

Pour passer cette commande, ajoute le rapport, « le 13 juillet 2018, sur ordre des hommes d’affaires de Gao qui les avaient commandées, des miliciens locaux ont semé le trouble à Gao et pillé l’entrepôt de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali, seule entreprise malienne autorisée à importer des cigarettes ». Cette manœuvre, précise-t-il, a porté sur « une partie d’une commande de 1.000 caisses passée par Albashar Soumaguel Maïga, homme d’affaires de Gao, à l’entreprise Agdal basée à Niamey (Niger) ». D’après les renseignements recueillis auprès des autorités maliennes, « Albashar Soumaguel Maïga a été l’instigateur des troubles et des témoins ont déclaré aux gendarmes avoir vu des véhicules chargés de cigarettes pillées s’arrêter dans ses locaux ».

Du constat fait par le Groupe d’experts, la multiplication des attentats à l’engin explosif improvisé contre les forces de défense et de sécurité au Mali et au Niger sont l’œuvre des trafiquants de drogues, d’armes et de cigarettes qui cherchent à se frayer un passage pour acheminer leurs marchandises. Au Niger, les zones les plus touchées par ces attaques, indique le rapport du Groupe d’experts, sont « les régions de Tillabéri et de Tahoua où plus de 60.000 personnes ont été déplacées, et plus de 150 civils tués, depuis janvier 2019 ».