Grande Muraille Verte au Niger : le paysage lunaire de Simiri transformé en un paradis vert

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Autrefois région  aride avec un paysage désertique, la localité nigérienne de Simiri ne semblait pas pouvoir connaître un changement environnemental avec des arbres qui y poussent laissant naître la vie animale. Pour en arriver à ce résultat presque paradisiaque, il aura fallu, en amont, un travail titanesque et collaboratif entre autorités, populations et associations.

Simiri, à environ 100 kilomètres au nord de Niamey, la capitale du Niger. Dans cette plaine rocailleuse, il était assez difficile, au cours des dernières décennies,  de faire pousser de la végétation. Face à  la rareté des précipitations et la population locale avait du mal à faire de l’élevage de bétail faute de pâturage pour leurs animaux.   Aujourd’hui, une immense bande de verdure créée permet  de contrer la désertification qui ronge la zone et la dégradation des sols.

Appelée Grande muraille verte (GMV), l’initiative a été adoptée en 2007 par les pays de l’Union africaine face aux enjeux environnementaux et climatiques sur le continent. Elle vise à restaurer, d’ici 2030, cent millions d’hectares de terres arides en Afrique, sur une bande de 8 000 km de long allant du Sénégal à Djibouti, en passant par plusieurs autres pays dont le Niger et le Burkina Faso, tout en offrant des opportunités économiques à la population locale. 

De la parole à l’acte

A Simiri, tout a commencé par des échanges interactifs. Les agents des eaux forêts, responsables  en charge de la GMV, ont initié des séances d’entretiens  avec la communauté locale sur le choix du site, la mise en place de comité de gestion et le renforcement de capacités. Dans l’exécution du programme, un comité de suivi a été créé pour évaluer l’impact du projet dans le quotidien des riverains, y compris la surveillance du site de reboisement pour éviter la destruction des jeunes plants ou que des indélicats violent le périmètre délimité. “Nous avons eu la chance d’avoir la compréhension de toutes les autorités, mais aussi la volonté des forestiers, qui se sont engagés à encadrer la population, à la suivre et à nous faire des retours pour que ce projet  réussisse. Certes, on parle de Simiri mais il y a beaucoup d’autres plateaux similaires”, explique Maisharou Abdou, le coordonnateur de la Grande muraille verte au Niger.

Sur le site, les agriculteurs, les jeunes et les associations de femmes ont travaillé ensemble pour faire revenir la verdure. Dès le début du projet, sous le soleil, et armés de pioches et de bêches, ils  ont construit des digues en terre qui retiennent plus longtemps les eaux de pluie autour des jeunes arbres pour assurer leur croissance, même en cas de sécheresse. Environ 25 ha de terre ont d’abord été clôturés pour favoriser la régénération naturelle des espèces déjà présentes dans la zone. Ensuite, plusieurs plants de “Senegalia” sénégal ou encore d’eucalyptus (espèces  robustes et faciles à cultiver) ont été portés en terre dans l’économie communautaire de la région. Selon les experts, ces espèces à croissance rapide fertilisent le sol. Généralement plantés en grandes quantités, elles constituent la base d’un système de plantation. Au-delà du reboisement, le programme de la GMV prône une approche intégrée d’agriculture durable, de protection des ressources en eau et de création d’activités économiques pour les populations locales. 

En vue de relever le niveau de mise en  œuvre du projet, le pays a reçu des financements extérieurs. De 2020 à 2023, par exemple, l’Ong internationale Oxfam et l’Union Européenne ont financé  à hauteur de 721,7 millions de FCFA le Projet JESAC (Jeunesse Sahélienne pour l’Action Climatique) mené dans les régions Sahéliennes du Burkina Faso et Niger, afin de promouvoir le leadership et l’autonomisation des jeunes et des femmes dans des initiatives liées à la récupération des zones dégradées et à l’adaptation au changement climatique.

Sani Ayouba, le Directeur exécutif de l’ONG Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE), une organisation engagée dans la résolution des problèmes environnementaux et à la promotion du développement durable au Niger, explique que “la stratégie avait consisté en plus de l’implication des bénéficiaires au renforcement de leur capacité. Ils ont été outillés et soutenus pour la conduite des activités de reverdissement dans leur localité”. Dans la pratique, les communautés de la région ont été sensibilisées aux avantages du reverdissement et surtout formées aux techniques de mise en terre, d’irrigation, de rétention d’eau et bien d’autres méthodes pouvant leur permettre se sentir impliquées dans ce projet. 

A Simiri, au Niger, la reforestation du plateau a débuté en 2013. Selon le Docteur Seyni Bodo Bachirou, Enseignant Chercheur à l’université Boubakar Bâ de Tillaberi et président de l’ONG “Initiative Pour l’Arbre” qui a travaillé à reverdir Simiri, “cette zone a été un exemple notable de réussite pour la Grande Muraille Verte (GMV), concentrant ses efforts sur la restauration des terres dégradées dans une zone soumise à des précipitations irrégulières. Les initiatives ont intégré des pratiques avancées telles que l’agroforesterie et la gestion des bassins versants, augmentant ainsi la résilience climatique locale et améliorant les moyens de subsistance agricoles”. En tant qu’observateur indépendant, il souligne que la stratégie mise en œuvre a été rigoureusement axée sur la gestion durable des terres (GDT), intégrant des approches scientifiques pour restaurer les écosystèmes fragiles. “Les résultats ont montré des avancées significatives dans la réhabilitation des terres et la restauration des paysages dégradés”, a-t-il soutenu. 

Des impacts hétérogènes

Avec le projet de la grande muraille verte au Niger, l’expérience a démontré qu’il y a de l’espoir en matière de reverdissement des terres. Même si certains pays se battent pour obtenir tout au moins un léger résultat, d’autres, comme le Niger, avancent à petits pas. Avec des solutions tant techniques que financières ou encore humaines, la région nigérienne de Simiri dans le Ouallam, est devenue un véritable plateau vert. Elle figure parmi les exemples du travail de transformation d’un milieu aride en une sorte de “paradis vert” où la biodiversité refait surface. Sur une vaste étendue de terre s’étend essentiellement une forêt d’acacia Sénégal (gommier blanc) et de Bauhinia rufescens, deux espèces très résistantes à la sécheresse pouvant culminer à douze mètres.

C’est un paysage lunaire où la vie reprend progressivement ses droits et où la faune et la flore repeuplent l’espace. La population locale, pour la plupart des éleveurs, fait paître ses bêtes et peut désormais s’abriter à l’ombre des arbres contre la force du soleil du Sahel. A Simiri, l’irrégularité des précipitations est désormais un souvenir lointain. Avec la réalisation du projet de la GMV, les agriculteurs tirent profit d’une meilleure pluviométrie. Le Docteur Seyni Bodo Bachirou, Enseignant Chercheur, explique: “l’impact sur la population locale s’est traduit par une augmentation de la productivité agricole et une meilleure sécurité alimentaire, contribuant ainsi à réduire la vulnérabilité aux changements climatiques

A la coordination de la GMV, les résultats sont également observés avec satisfaction. “Depuis la clôture et les plantations d’arbres, avec l’implication de la communauté locale, cela a permis une régénération naturelle et une régénération à partir des ensemencements et des ouvrages qui ont été réalisés”, témoigne Maisharou Abdou, le Coordonnateur de la GMV. Cette réussite, selon le responsable, revient à la population locale qui a joué un grand rôle dans ce travail d’envergure. De plus, avec la technique de la Régénération naturelle assistée (RNA), des villes et villages du Niger détiennent désormais des marchés de bois.

L’eucalyptus (espèces d’arbres forestiers originaires essentiellement d’Australie) largement planté à Simiri, ravitaille la capitale Niamey en bois pour diverses utilisations, notamment pour la construction des bâtiments et la confection de meubles. La plupart des espèces répertoriées sont originaires de l’île de Tasmanie et de l’île principale d’Australie. Seules quelques-unes ont pour origine l’Indonésie. L’expansion rapide des plantations d’espèces du genre Eucalyptus dans cette zone est due à leur croissance rapide, leur rusticité, et leur plasticité écologique permettant leur développement sur une large gamme de sols et leur adaptation à des milieux peu favorables. En plus de produire de nombreux fruits et graines très résistants et longévifs, les Eucalyptus ont également une forte capacité à régénérer par rejet. Ils tolèrent la chaleur, les incendies et les variations de régime hydrique qui sont des phénomènes souvent rencontrés dans les régions sahéliennes d’après un document conjoint de la CEDEAO/CSAO/OCDE en date de 2006. Leur système racinaire est puissant et a une grande capacité à explorer le sol. 

Retour de la biodiversité

Des demi-lune creusées pour retenir l’eau de pluie dès le début du projet, afin de permettre aux jeunes plants de vivre @AFP

Au sol, des bêtes broutent sereinement depuis quelques minutes en ce mois de février. Sur les mêmes sites, des semences herbacées, forestières et des gousses données aux animaux. L’élevage recommence dans une zone où auparavant aucune bête ne pouvait survivre sans l’apport en nourriture. Un peu plus loin, sur les pistes tracées entre les plantations agricoles, des chariots traînés par des ânes sont remplis de paille issue de sites restaurés. Collectées, ces pailles vont ensuite être stockées puis vendues pour diverses utilisations, notamment la fabrication de toit des cases. La communauté de Simiri  observe avec joie les résultats de la GMV. Elle soutient que les travaux de génie civil ont même permis de freiner l’érosion des terres et de remblayer des ravins qui menaçaient leurs habitations.

Selon Niandou Boubacar Mali, journaliste à la radio communautaire Yilwa FM de Simiri, le reverdissement a été un grand succès dans le cadre du développement communautaire. “Cette action a permis de reverdir des espaces dans plusieurs localités de la commune et a suscité des activités agricoles et d’élevage que certains jeunes de Simiri n’avaient jamais vu se développer dans la région”, explique-t-il. Et d’ajouter que la mise en œuvre du projet de la GMV a amélioré les revenus journaliers des “bras valides” recrutés pour le gardiennage, la plantation et l’entretien des arbres. “Cela a beaucoup contribué à réduire l’exode rural des jeunes dans plusieurs localités d’ici, a-t-il précisé.

Des arbres d’acacia qui forment une petite forêt dans ville de Simiri plusieurs mois après le début du projet de la GMV

De son côté, Sani Ayouba, le Directeur exécutif de l’ONG Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE) au Niger constate “la restauration des terres dégradées et l’autonomisation des communautés ; un renforcement des capacités techniques des communautés locales destinées à restaurer les terres ; le développement des emplois verts et de l’économie circulaire ; la lutte contre le changement climatique, la désertification, la lutte contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté ; la prise de consciences des communautés sur les efforts de restauration des forêts et des paysages et met en avant les retombées positives qu’ils pourraient générer”. Cela a beaucoup contribué dans l’appropriation des idéaux de l’initiative « Reverdir l’Afrique »” (un des sept programmes phares des Nations unies en matière de restauration qui, à terme, devrait permettre de restaurer 5 millions d’hectares d’ici à 2030, en stimulant la biodiversité et en soutenant les communautés locales).

Des points d’achoppement

Malgré la stratégie et les financements, le chantier gigantesque de la Grande Muraille Verte est ralenti. Seulement 25 ha de terres reboisés contre 65 autres ha en projet depuis quelque deux ou trois ans environ. Principal frein : l’insécurité. En effet, la région de Tillabéri, dans l’ouest du Niger, où se trouve Simiri, abrite une grande partie des frontières communes du pays avec le Burkina Faso et le Mali. Les communautés de cette région frontalière poreuse restent vulnérables aux violences des groupes armés terroristes tels que  le JNIM et l’EIGS, qui opèrent dans ces zones difficiles d’accès et moins gouvernées depuis près d’une décennie. Si de nombreux facteurs, notamment des conflits communautaires mal gérés et le banditisme ont conduit à l’expansion de ce phénomène, dans la région de Tillabéri, ces groupes armés ont de plus en plus tourné leurs attaques contre les civils au cours des dernières années. Longtemps épargné jusqu’en 2022, Simiri a commencé à subir des attaques sporadiques ,accentuées en 2023 et corroborer de braquage à mains armées. 

Par ailleurs, les autorités peinent à financer les travaux de reverdissement sans l’appui d’organisations non gouvernementales étrangères ou autres partenaires financiers. Bon nombre des projets ne sont pas « rentables » d’un point de vue strictement financier. Évalués en termes de gains financiers, la plupart des projets de restauration génèrent des rendements faibles pour attirer des investisseurs privés. En outre, la continuité et la durabilité à long terme des projets sont considérées comme porteuses de risques plus élevés du fait d’un environnement en constante évolution, principalement en raison du changement climatique, et parfois en situation d’insécurité. Dr Seyni Bodo Bachirou, confie que  “les défis à Simiri incluent des aspects politiques complexes liés à la gouvernance locale, des tensions sécuritaires exacerbées par l’instabilité régionale, de la pauvreté et des défis démographiques tels que la pression accrue sur les ressources naturelles. Sur le plan technique, les contraintes climatiques et la variabilité des précipitations posent des défis continus à la durabilité des pratiques de gestion des terres”. C’est pourquoi, poursuit-il, “ces facteurs nécessitent une approche adaptative et intégrée pour surmonter les obstacles à long terme. En clair, la gestion efficace des ressources et la résolution des défis institutionnels persistent comme des domaines nécessitant une attention continue”.

Chaque année, des millions d’arbres sont plantés au Niger le 3 août commémorant l’indépendance du pays, mais ils meurent au bout de quelques semaines par manque d’entretien, constate l’universitaire . Tout en appelant la GMV à plus de collaboration avec les organisations bénévoles, Dr  Seyni Bodo Bachirou insiste sur l’importance d’inclure les activités d’entretien et de suivi dans les projets  plantations d’arbres.

GMV au Burkina Faso et au Sénégal

Même si la Grande Muraille Verte avance à petits pas au Niger,  le constat est tout autre au  Sénégal qui fait partie des pays concernés  par la mise en œuvre du projet. Les premières plantations d’arbres de la grande muraille verte ont démarré dans la région de Louga,  précisément à Linguère, à  300 km de Dakar.  De 2008 à 2010, pour la première phase, le Sénégal a misé sur la neutralité des terres,le renforcement du taux de couverture végétal, l’amélioration de la productivité agricole et l’augmentation de la séquestration de carbone.

Le reboisement  a favorisé  la production de 10 grandes pépinières. Selon le Colonel Gora Diop, Directeur de la Grande muraille verte au Sénégal, “En termes de reboisement en moyenne c’est 5000 hectares par an de 2008 à 2023 et 2 millions de plants produits par an, et nous avons 10 grandes pépinières. Près de 35 millions de plants produits  jusqu’ en 2023. Hormis le reverdissement et le reboisement, les écovillages ont également été mis en place pour améliorer le  cadre de vie des populations en mettant au cœur la dimension environnementale à Wiidou THIENGOLY”. Au-delà du reboisement, ce programme prône une approche intégrée : agriculture durable, création d’activités génératrices de revenus. « Nous avons mis en place au début ce qu’ on appelle des jardins polyvalents  que nous avons transformé  en fermes agricoles communautaires intégrées.Ou dans cette zone travaillent plus de 900 femmes  qui s’ activent au niveau du maraîchage ,de l’arboriculture, de l’aviculture et même de l’apiculture”, précise le  Colonel Gora Diop.

A l’échelle du pays, d’après les chiffres officiels, la GMV a impacté positivement  plus de 2 millions d’habitants. En 2023, le projet est passé  de 16 communes avec 8175 km2 couverts  à 131 communes touchées.

Au Burkina voisin, L’initiative de la GMV  couvre cinq (05) régions, dix neufs (19) provinces, sur une superficie de 128 064  Km2   avec 7 886 609 habitants. A terme , elle devrait contribuer à la réduction de l’érosion hydrique, l’accroissement des rendements agro-sylvo-pastoraux et l’amélioration de la biodiversité avec le retour de la  végétation herbacée et ligneuse. Pour y arriver, plusieurs partenaires  ont été sollicités, parmi lesquels, l’ONG Tiipaalga (nouvel arbre en Mooré), avec sa  technique de “mise en défens” qui se révèle comme une réponse à  la désertification, à la dégradation des terres et à la perte de biodiversité. Cette méthode s’applique dans les périmètres de restauration, les bois et bosquets sacrés, les forêts villageoises. A Barma, commune de Laye  dans la région du Plateau Centrale, se dresse un espace boisé à la lisière de toutes les concessions. C’est un site de 3,04 ha clôturé à l’aide d’un grillage où la densité des arbres rivalise avec le nombre des espèces. A l’intérieur, les adeptes de la botanique ou de la dendrologie trouveront leurs comptes. Des arbres comme le kapokier ou le detarium, propres à la brousse,  trônent admirablement sur les lieux.Au bout de plusieurs années de mise en œuvre de la GMV, les agriculteurs et éleveurs ont doublé leur revenus.

Sur le plan écologique et restauration de la biodiversité, l’action de Tiipaalga a permis la protection de 423 bosquets familiaux (mises en défens) dans 217 villages ; la récupération de 1219 ha de terres dégradées ; la régénération d’environ 600 000 arbres de 160 espèces locales, le retour de la petite faune : écureuil, lièvre, francolin. En matière de contribution aux revenus des ménages, 116 apiculteurs arrivent désormais à produire en moyenne annuelle 2 tonnes de miel, et 284 052 t de fourrage naturel sont aussi produites pour l’alimentation du bétail.

Enquête réalisée par Modeste Dossou, avec le soutien de la CENOZO dans le cadre du projet « Renforcer le journalisme de solutions sur la santé et le développement durable »

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