Le 22 avril 2025, la justice ivoirienne a prononcé la radiation de Tidjane Thiam, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) et candidat à la présidentielle d’octobre 2025, de la liste électorale. Cette décision, qui compromet ses ambitions présidentielles, repose sur l’argument qu’il aurait perdu sa nationalité ivoirienne en acquérant la nationalité française en 1987. Cet épisode, loin d’être un simple aléa judiciaire, met en lumière un manque de vigilance dans la stratégie de Thiam et de son entourage face aux subtilités du cadre légal et politique ivoirien.
La radiation de Tidjane Thiam découle d’une interprétation stricte de l’article 48 du code de la nationalité ivoirienne, datant des années 1960, qui stipule qu’un citoyen ivoirien perd automatiquement sa nationalité en acquérant volontairement une autre, sauf autorisation préalable des autorités. Thiam, né en Côte d’Ivoire, avait obtenu la nationalité française en 1987, ce qu’il a renoncé en mars 2025 pour se conformer à l’article 55 de la Constitution ivoirienne, exigeant qu’un candidat à la présidentielle soit exclusivement de nationalité ivoirienne.
Cependant, le tribunal a estimé que l’acquisition de la nationalité française avait entraîné la perte de sa nationalité ivoirienne, la loi étant alors stricte et précise lors de l’acte, rendant son inscription sur la liste électorale invalide. Cette décision, jugée sans appel, ferme pour l’heure la voie à sa candidature.
Cette issue judiciaire n’est pas isolée. D’autres figures de l’opposition, comme Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, ont également été exclues de la liste électorale pour des raisons judiciaires, signalant un climat politique tendu à l’approche du scrutin. Cependant, le cas de Thiam se distingue par la polémique autour de sa nationalité, un sujet sensible en Côte d’Ivoire, où le débat sur l' »ivoirité » a déjà alimenté des crises par le passé.
Un manque de vigilance stratégique
Si la décision judiciaire repose sur une base légale, elle révèle aussi un manque de prévoyance de la part de Thiam et de ses conseillers. Plusieurs éléments suggèrent que son équipe n’a pas suffisamment anticipé les défis posés par le cadre juridique et le contexte politique ivoirien :
Sous-estimation des subtilités légales : Bien que Thiam ait produit un certificat de nationalité ivoirienne en 2020, validé par la Commission électorale indépendante (CEI) pour rejeter des recours antérieurs, ses détracteurs ont exploité l’article 48 du code de la nationalité pour contester son éligibilité.
L’argument selon lequel il était également français de naissance, via son père, n’a pas convaincu le tribunal. Cette issue montre que l’équipe de Thiam n’a pas suffisamment sécurisé sa situation juridique, notamment en clarifiant son statut de nationalité bien avant la période électorale. Une analyse plus approfondie des textes juridiques, y compris des précédents comme celui d’Alassane Ouattara, accusé d’être d’origine burkinabè dans les années 1990, aurait pu anticiper ce piège.
Réaction tardive à la polémique sur la nationalité : La question de la double nationalité de Thiam a empoisonné sa campagne depuis des mois. Pourtant, il a attendu février 2025 pour entamer les démarches de renonciation à sa nationalité française, une décision perçue comme réactive plutôt que proactive. Une renonciation plus précoce, accompagnée d’une communication claire sur son attachement exclusif à la Côte d’Ivoire, aurait pu désamorcer les attaques de ses adversaires, notamment du parti au pouvoir, le RHDP, accusé par le PDCI d’orchestrer des « manœuvres » pour l’écarter.
Face à la polémique sur sa nationalité, Thiam et son équipe n’ont pas réussi à contrer efficacement le « venin distillé » sur sa personne, comme il l’a lui-même déploré. Une stratégie de communication plus agressive, mettant en avant son expérience internationale comme un atout et clarifiant son statut de citoyen ivoirien, aurait pu limiter l’impact des accusations portées par ses détracteurs.
Confiance excessive dans la CEI : La CEI avait rejeté, le 17 avril 2025, environ 150 recours demandant la radiation de Thiam, s’appuyant sur son certificat de nationalité de 2020. Cette victoire initiale a peut-être engendré un excès de confiance au sein de l’équipe de Thiam, qui n’a pas anticipé que les plaignants, dont un cadre du RHDP, porteraient l’affaire devant la justice. Une meilleure anticipation des recours judiciaires, notamment en préparant des contre-arguments solides ou en mobilisant un soutien politique plus large, aurait pu atténuer le risque.
Les implications pour le PDCI et l’opposition
La radiation de Thiam est un coup dur pour le PDCI, qui avait massivement investi dans sa candidature, avec 99,50 % des voix lors de la convention d’avril 2025. Elle fragilise également l’opposition, déjà affaiblie par l’exclusion d’autres leaders. Le PDCI devra désormais envisager un plan B, peut-être en se tournant vers un autre candidat comme Jean-Louis Billon, ou en négociant des alliances peut-être avec le Parti des peuples africains (PPA-CI) de Laurent Gbagbo.
Sur le plan politique, cette affaire renforce les accusations de l’opposition selon lesquelles le pouvoir manipule le processus électoral pour éliminer ses rivaux. Thiam lui-même avait exprimé des craintes quant à une élection non inclusive, dénonçant les menaces quasi-quotidiennes dont il faisait l’objet. Cependant, sans une stratégie plus rigoureuse, ces dénonciations risquent de rester sans effet face à un système judiciaire et électoral perçu comme favorable au RHDP.