Déclaration de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) relative aux événements du 15 mars 2020 et aux entraves dont elle a été victime dans l’exercice de ses missions

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Les évènements tragiques du 15 mars 2020 à Niamey continuent de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Après AMNESTY INTERNATIONAL qui demande l’ouverture d’une enquête indépendante sur les circonstances de la mort de 3 personnes, c’est au tour de la CNDH de monter au créneau.

En effet, dans une déclaration signée des mains de son Président, le Professeur Khalid Ikhiri, la Commission Nationale des Droits Humains lance un appel au Président de la République, afin qu’il tire les conséquences du traitement dont la commission a fait l’objet dans les locaux de la Police Judiciaire.

Le président de la commission a par ailleurs rappelé les textes qui régissent le fonctionnement de cette institution constitutionnelle qui tire sa légitimité et son fondement juridique de notre loi fondamentale en son article 44 susvisé et des engagements internationaux auxquels le Niger a librement souscrit. En attendant une prompte réaction des autorités, vous pouvez lire l’intégralité de la déclaration ci-dessous :


Déclaration de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) relative aux événements du 15 mars 2020 et aux entraves dont elle a été victime dans l’exercice de ses missions

En application des dispositions de l’article 44 de la Constitution du 25 novembre 2010 et de la Loi Organique 2012-44 du 24 août 2012, portant Composition, Organisation, Attributions et Fonctionnement de la Commission Nationale des Droits Humains, la CNDH avait entrepris tard dans la nuit du samedi 14 mars 2020, des démarches tendant à aboutir à l’apaisement et au renforcement de la cohésion sociale relativement au meeting projeté le 15 mars 2020 par la Société Civile, dans un contexte où le Président de la Délégation Spéciale de la ville de Niamey avait rendu public un communiqué, interdisant tout regroupement « susceptible de réunir plus de 1000 personnes »,sur la base des mesures de prévention de la pandémie de coronavirus issues du Conseil des Ministres du vendredi 13 mars 2020.

Dans le souci de la préservation de la quiétude sociale, la CNDH avait invité à son siège aux environs de 23h les principaux leaders de la Société Civile, initiateurs du meeting projeté à la Place de la Concertation.

L’objectif recherché était d’amener ces leaders à surseoir à toute action tendant à braver tout arrêté d’interdiction et à privilégier la saisine des autorités judiciaires compétentes en lieu et place d’une confrontation ouverte avec les Forces de Maintien de l’Ordre.

Après audition des leaders sur la situation qui prévaut, le constat qui s’est dégagé au sortir de cette rencontre est qu’en dehors des communiqués du Gouvernement et du Président de la Délégation Spéciale de la Ville de Niamey, il n’existe juridiquement aucun acte administratif notifiant aux organisateurs l’interdiction dudit meeting tel que prévu normalement par la loi no 2004-45 du 8 juin 2004 portant régime des manifestations sur la voie publique.

Face à cette situation, la CNDH a pris acte et mis fin à la réunion aux environs de 2h du matin.

Le lendemain matin, elle a suivi à l’instar de l’opinion nationale, la suite des événements. C’est donc préoccupée par cette situation et conformément à son Mandat constitutionnel, que la CNDH s’est successivement rendue au marché Tagabati et à la Police Judiciaire, les 16 et 17 mars 2020.

Au marché Tagabati, la CNDH a apporté son soutien moral, exprimé sa compassion aux victimes, avant de constater de visu l’étendue des dégâts, suite à l’incendie.
Il ressort de cette visite, un bilan se soldant par la mort tragique de quatre (4) personnes dont une femme, des blessés graves et d’importants dégâts matériels.

À la suite de ces événements, quinze (15) personnes, dont des leaders de la Société Civile et des étudiants, ont été interpellées et gardés à vue dans les locaux de la PJ.

Avant de se rendre dans lesdits locaux, la CNDH a tenu, par courtoisie, à aviser le Procureur de la République Près le Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Niamey, étant entendu que la loi la régissant lui permet d’effectuer des visites inopinées telles que prévues par son article 19, aliénas 1, 3 et 4 qui dispose : je cite « […] dans le cadre de la protection et de la défense des droits humains, la Commission a pour missions : effectuer des visites régulières notifiées ou inopinées dans les lieux de détention et formuler des recommandations à l’endroit des autorités compétentes ; lutter contre la torture, les actes de sévices et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conformément aux normes universelles, régionales ou nationales des droits humains […] ». Fin de citation.

A la Police Judiciaire, la délégation de la CNDH conduite par le Président a été très bien accueillie par son Directeur. Avant de rencontrer les leaders de la Société Civile, la CNDH s’est intéressée au fonctionnement de l’unité d’enquête.

Il ressort de l’entretien avec les leaders interpellés, qu’ils n’ont subi aucun acte de torture ni de traitement cruel, inhumain ou dégradant, aussi bien au stade de l’interpellation qu’à celui de la garde-à-vue. La plupart d’entre eux ont répondu volontiers à l’interpellation. La CNDH note également qu’ils ont librement eu accès aux avocats de leur choix et reçoivent les visites de leurs proches conformément aux dispositions des textes nationaux, communautaires et internationaux.

C’est au moment où s’achevait l’entretien avec les leaders de la Société Civile et que la délégation allait entamer la rencontre avec les autres gardés-à-vue (les étudiants et les autres) que, contre toute attente, le Directeur de la PJ recevait un appel téléphonique du Directeur Général de la Police Nationale (DGPN). Après quelques échanges entre eux, le Directeur de la PJ a tendu le téléphone au Président de la CNDH.

Le Directeur Général de la Police Nationale s’est adressé littéralement au Président de la CNDHen ces termes je cite : « on m’a informé que vous êtes venu avec une horde de journalistes. Je vous demande de quitter les lieux sinon je vous fais sortir manu militari ». Fin de citation.

En réponse, le Président de la CNDH lui a dit ceci : « En dehors du Directeur de la Communication de la CNDH, il n’y a pas de journaliste ici ».En réalité, après le plan de coupe de dos des gardés-à-vue, conformément au principe de la présomption d’innocence auquel la Commission attache du prix, les journalistes s’étaient retirés à la demande du Président de la CNDH et du Directeur de la PJ. Optant pour la sagesse, dans l’intérêt du pays, la CNDH avait préféré se retirer, en lieu et place d’un bras de fer.

Cet acte grave posé à l’encontre d’une des Institutions Constitutionnelles, qu’on voudrait pourtant fortes, constitue un précédent dangereux pour le renforcement de l’État de droit et de la démocratie.

La CNDH, faut-il le rappeler, tire sa légitimité et son fondement juridique de notre Loi fondamentale en son article 44 susvisé et des engagements internationaux auxquels le Niger a librement souscrit. Elle est une Autorité Administrative Indépendante des pouvoirs publics, pluraliste et démocratique, conforme aux Principes de Paris.

De ce qui précède, nul individu, nulle autorité ne peut lui donner des injonctions, ni lui faire obstruction dans l’exercice de son mandat.
C’est pourquoi, la CNDH lance un appel au Président de la République, Chef de l’État, garant du respect de la Constitution et du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, afin qu’il tire les conséquences de tels agissements que rien ne saurait justifier.

Le respect et la promotion des droits humains doivent être effectifs dans l’intérêt de tous. Chacun pouvant se retrouver un jour dans la situation de victime nécessitant une assistance.
C’est pourquoi le Législateur a prévu les dispositions pénales des articles 53 et 54 de la Loi sus évoquée : « Art. 53 : Quiconque par action, inertie, refus de faire ou tout autre moyen aura entravé ou tenté d’entraver l’accomplissement des fonctions assignées à la Commission sera puni d’un emprisonnement de six (6) mois à un (1) an et d’une amende de cent mille (100.000) F CFA à un million (1000.000) de francs CFA ou l’une de ces deux peines seulement. En cas d’infraction à l’alinéa ci-dessus, la Commission saisit directement l’autorité judiciaire » ; « Art. 54 : Les membres de la Commission bénéficient de la protection contre les menaces, outrages et violences tels que prévus par les articles 169 et 173 du Code pénal ».

Les faits ci-dessus reprochés au Directeur Général de la Police Nationale s’analysent en une entrave grave à l’accomplissement des missions de la Commission.

Ils s’analysent également en une menace proférée, un outrage fait aux membres assermentés de la Commission dans l’exercice de leur fonction.

Au regard de tout ce qui précède, la CNDH se réserve opportunément le droit de porter plainte avec constitution de partie civile devant l’autorité judiciaire compétente.
Par ailleurs, malgré l’incident du 16 mars 2020, la CNDH a tenu le 17 mars 2020, à poursuivre sa mission en allant s’enquérir des conditions de détention des autres gardés-à-vue. Mission qui s’est accomplie cette fois sans entrave. Les recommandations qu’elle a formulées ont été suivies d’effet séance tenante.
Au demeurant, fidèle aux principes de neutralité, d’impartialité et d’objectivité, qui constituent sa boussole, la CNDH recommande au Gouvernement la mise en place d’une Commission d’Enquête Indépendante pour faire toute la lumière et situer les responsabilités, suite aux événements tragiques survenus le 15 mars 2020.

Aussi, réaffirme-t-elle sa volonté inébranlable, sa détermination sans faille de continuer à promouvoir et à protéger les Droits de l’Homme et les Libertés Fondamentales pour tous et en toute circonstance sur l’ensemble du territoire, conformément au serment prêté par ses membres devant l’Assemblée Nationale.

Fait à Niamey, le 18 mars 2020
Pour la Commission
Le Président de la CNDH
Professeur Khalid Ikhiri