Niger : déplacement forcé des populations dans le bassin du lac Tchad, du paradis à l’enfer

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Le déplacement forcé des populations du lac Tchad au Niger en 2015 a provoqué une crise humanitaire majeure. Sous prétexte de lutte contre le terrorisme, des milliers de personnes ont été contraintes d’abandonner leurs foyers, leurs moyens de subsistance et leurs terres. Le déplacement s’est fait dans des conditions dramatiques, avec de nombreuses pertes en vies humaines. L’absence de préparation de l’État a aggravé la situation, laissant les déplacés dans une vulnérabilité extrême.

Le 1er mai 2015, un ultimatum de 72 heures a été lancé par le gouverneur de la région de Diffa : les habitants des îles du lac Tchad devaient quitter les lieux sous peine de représailles. Cette décision, prise dans le cadre de l’état d’urgence décrété après l’attaque meurtrière de Karamga, a contraint des milliers de personnes à un exode forcé. Diffusé en boucle sur les ondes locales, l’ordre d’évacuation a semé la panique parmi les populations, qui ont dû abandonner leurs foyers en urgence. C’est la première fois que le Niger connaissait un déplacement de population d’une telle ampleur.

La traversée des eaux et du désert : le début de calvaire

Dès l’annonce de l’ultimatum, les habitants des îles n’ont pas attendu l’expiration du délai pour quitter la zone. C’est la psychose totale. Les habitants ont décidé de quitter sans préparation, laissant derrière eux, leurs biens pour rejoindre la terre ferme, c’est-à-dire N’Guigmi. Les populations ont effectué leurs déplacements en deux étapes : la traversée des eaux et celle du désert.

Tout le monde se précipitait pour fuir en pirogue, un vent violent vient compliquer la situation pour la traversée des eaux. «Le vent nous a contraint de passer par plusieurs îles avant de sortir définitivement des eaux. Dans cette étape, du fait de la précipitation pour sauver sa vie, le nombre de personnes mortes est incalculable dans le lac. Parce que plusieurs pirogues avaient chaviré », nous confie Maman Sani Dayabou, agriculteur et pêcheur du village de Malam Massari.

Sa’a Yahaya, une habitante de Karaorawa, a vécu un calvaire lors de l’exode forcé des populations du lac Tchad. Cette mère de famille, qui allaitait encore son enfant, a dû parcourir des kilomètres à pied dans le désert, sous un soleil de plomb. Elle relate : « après deux heures de marche sur le désert, on était tombé sur le cadavre d’un jeune homme, puis d’une femme ». Ces habitants ont passé en moyenne 3 jours de marche sans eau, ni nourriture.

« Le spectacle le plus atroce a été de voir une mère, poussée par le désespoir, abandonner son enfant en plein désert. Des scènes de désolation se sont multipliées : des corps inertes jonchant le sol, des femmes enceintes accouchant dans la souffrance, seules et abandonnées. Dans les eaux stagnantes de Koukiliya, Malam Massari et Tounboum Mota, des cadavres flottaient, » a-t-elle souligné.

« L’Etat n’a pas préparé l’arrivée de ces gens. Quand tu dis à une personne de sortir drastiquement, d’office, il faut lui préparer son installation et sa nourriture», déplore Abacar Issa du Mouvement des jeunes pour le développement et l’éducation citoyenne (MOJEDEC).

Du paradis à l’enfer

Les personnes sommées de quitter les îles vivaient de l’agriculture, l’élevage et la pèche. A travers ces activités économiques, elles arrivaient à subvenir à leurs besoins. « Pour moi, cette évacuation est comme si on m’a fait sortir par force d’une mine d’or pour m’installer ici dans ce site des réfugiés », témoigne avec désolation Maman Sani de Malam Massari. Ces déplacés sont présents dans les 29 sites des réfugiés de la région de Diffa.

Le déplacement forcé au regard des droits de l’Homme

Le déplacement forcé de ces populations constitue une violation flagrante du droit international humanitaire. Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, fondés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme et les pactes internationaux, garantissent aux déplacés le droit à la protection, à l’assistance et au respect de leur dignité. Or, dans le cas présent, «l’État nigérien n’a pas honoré ses obligations», déplore Abacar Issa.

Suite à l’évacuation forcée, les îles du lac Tchad sont rapidement tombées sous le contrôle de Boko Haram. Les terroristes se sont emparés des biens abandonnés par les habitants et ont instauré un régime d’occupation. Les populations déplacées, croyant en une intervention militaire imminente de l’État nigérien, ont été déçues. L’absence d’opérations militaires a permis à Boko Haram de consolider son emprise sur la région. Comme l’explique Kiari, ancien membre de Boko Haram, « les éléments de Boko Haram ont occupé les îles et se sont autonomisés en imposant des taxes sur la pêche, l’élevage et l’agriculture ».

Ismaël Abdoulaye

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