Autopsie des web TV du Nigeria qui font de la propagande sur le Niger

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Ph : DR

Plusieurs web TV animées par des personnes basées au Nigeria diffusent régulièrement des informations sur le Niger. Si certaines chaînes existent depuis 2020, d’autres ont été créées après le coup d’Etat du 26 juillet 2023 qui a renversé le Président Bazoum Mohamed. Parmi ces web TV on peut citer cette chaine appelé Hausa labari tv24 qui a été créée le 14 décembre 2020 au Nigeria. Elle est accessible sur Tik tok et Youtube sur lequel 349.000 abonnés suivent régulièrement ses programmes. C’est une chaîne qui a une audience de plus de 4 millions de vues. 

Il y a aussi la chaîne YouTube « GIDO24TV » basée aussi au Nigeria également. Créée en février 2020, Gido24tv a publié à ce jour 1078 vidéos pour un nombre d’abonnés de 287.000 avec plus de 23 millions de vues.  Nagudutv est aussi un web tv qui traite très souvent de l’actualité du Niger. Elle est active depuis 2013. Basé à Kaduna dans le Nord du Nigeria, la chaîne YouTube compte 696.000 abonnés pour 792 vidéos publiées avec une audience de 6 millions de vues. Sur la page Facebook on peut lire 137.000 followers. Il existe également la web TV « Muryar Arewa Hausa TV » créé en en 2017 et qui diffuse et commente des informations sur l’actualité du Nord Nigeria. Elle dispose de 365.000 abonnés au 22 août 2024.

La chaîne YouTube « Maidalili Infonews » qui existe depuis le 7 novembre 2021 est devenue très active depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 au Niger. Elle est créée par un Nigérien qui s’est exilé au Nigeria depuis l’arrivée des militaires au pouvoir. Son fondateur publie avec une fréquence journalière, des contenus très critiques voire irrévérencieux à l’égard de la gouvernance des militaires au pouvoir. Sa chaîne compte 425.000 abonnés et a publié 264 vidéos pour une audience de 350.540 vues à la date du 19 août 2024. Parmi les animateurs de ces chaînes figurent des Nigériens en exil et dont certains font partie des proches collaborateurs du président déchu.

S’il n’est pas formellement établi qu’il existe des liens entre la plupart des animateurs de ces WebTV et les responsables politiques nigériens en exil au Nigeria, plusieurs d’entre eux sont connus comme des fidèles soutiens au régime déchu de Bazoum Mohamed comme justement le cas d’Abdoulkader, plus connu sous le surnom de Maidalili.

Les thèmes abordés par ces plateformes concernent principalement la sécurité, notamment le banditisme armé à la frontière sud  du  Niger avec le Nigeria, ainsi que des questions politiques, en particulier la gestion des affaires publiques depuis le coup d’État du 26 juillet 2024. La tension liée à la fermeture de la frontière avec le Nigeria et les menaces d’intervention militaire par la CEDEAO, avec ce pays en tête, sont également des sujets récurrents.

Les reportages sont rares pour ne pas dire inexistants sur ces chaînes dont la production est essentiellement basée sur le commentaire et l’opinion, très souvent sans base approfondie ni recherche minutieuse. L’équilibre de l’information n’est pas aussi une priorité au niveau de ces chaînes qui semblent privilégier le sensationnalisme.

Pour les quatre premières chaînes web citées, les promoteurs sont tous des Nigérians. Elles n’ont pas de modèles économiques standards. Elles n’ont pas de sponsors ni de sources de revenus clairement définis dans le business plan.  Ces web TV sont créés pour faire le buzz selon l’actualité et générer plus de vues afin de profiter du système de monétisation qu’offre Facebook, YouTube, Tik tok et d’autres plateformes.

Cependant certaines chaînes semblent être financièrement soutenues par des hommes politiques qui les utilisent comme un instrument de déstabilisation des gouvernants. C’est justement les cas de la chaîne Maidalili qui est un fervent partisan de Bazoum Mohamed. L’intéressé, faut-il le rappeler, est membre de la cellule de communication de l’ancien président Bazoum.

C’est à juste titre que ses commentaires visent le CNSP (Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie), mais également Issoufou Mahamadou ancien président de la République du Niger, considéré par les partisans de Bazoum comme l’instigateur principal du coup d’Etat du 26 juillet 2023. Et plusieurs de ces vidéos le prouvent.

« Muduba mu gani »  qui veut dire littéralement « regardons en ensemble » est le titre de l’émission phare quotidienne de Maidalili. Chaque jour, il traite d’un thème en rapport direct avec la gouvernance du Général Tiani. Par exemple dans l’émission du 5 aout 2024, il accusait le président Tiani d’armer ses parents contre d’autres communautés dans la zone de Toukounous dont il est originaire. Il a également évoqué dans la même émission la présence des militaires nigériens au Mali qu’il a qualifiée de « unième camouflet ».

Dans un autre développement encore plus grave traité le 6 août 2024, il parle du Nord Niger en ébullition avec le refus de la garde nationale de rentrer à Niamey. Une information de nature à saper le moral des militaires engagés dans la  lutte contre le terrorisme. Des informations sans fondement qui malheureusement sont suivies par des milliers de personnes à travers le monde.

Ainsi l’émission du 5 août 2024 a atteint 14.666 vues le 6 août 2024, avec 63 partages, 40 commentaires et 501 « j’aime ». Dans ces commentaires on peut lire « bonne chance Maidalili », « Merci Maidalili, la vérité blesse », ou encore « on vous suit partout au Niger. Plus loin on voit un commentaire qui dit « tu fais notre fierté. » 

En ce qui concerne les autres chaines web cités plus haut on peut se rappeler du buzz qu’a fait l’arrestation de Baleri, un bandit armé qui sème la terreur dans la zone frontalière avec le Nigeria, particulièrement au sud Maradi, dans les départements de Madarounfa et de Guidan Roumdji.  Les autorités nigériennes, par la voix  du  gouverneur de Maradi, ont déclaré la mise hors d’état de nuire de Baleri. 

Mais cette information officielle a été dévoyée par ces médias en ligne. On peut citer la chaîne web TV « Muryar Arewa Hausa TV » dans sa parution du 6 juin 2024 qui publie une information pour démentir la thèse des autorités nigérienne en reprenant les propos de   Bello Tourdji, le chef de bandits armés. Ce dernier a démenti l’arrestation au Niger d’un de ses principaux lieutenants et exhibé un personnage, prétendant que c’est le nommé Baleri dont les autorités nigériennes ont évoqué l’arrestation.

Une publication qui peut semer le doute dans l’esprit des gens de Madarounfa qui ont applaudi cette arrestation. Or, ces informations démentant la thèse officielle n’ont aucun fondement selon nos recherches. 

Il faut dire qu’à l’exception de Maidalili qui a travaillé dans des radios privées au Niger et même occupé un poste dans la cellule de communication du président Bazoum, tous les autres animateurs des web tv ciblées par notre investigation ne disposent pas de références professionnelles en matière de collecte, traitement et diffusion de l’information. Leur objectif principal semble d’avoir plus de vues et obtenir plus d’argent. 

Il faut aussi souligner l’utilisation de mercenaires comme contributeurs par ces web tv à l’instar du célèbre nigérian Dan Balki Commandant, qui s’appuie sur des contrevérités et des attaques personnelles dans ses interventions sur le Niger. Ces interventions acerbes sont intervenues au moment où la tension était vive entre le Niger et le Nigeria après le coup d’Etat du 26 juillet 2024.

Ce personnage invectivait les militaires au pouvoir et appelait de tous ves voeux l’intervention militaire que la CEDEAO avait planifié contre le Niger pour déloger les militaires et réinstaller le président déchu Bazoum Mohamed. En dehors de certaines rumeurs rien ne peut prouver que Dan Balki Commandant a des connexions avec les politiciens nigériens exilés au Nigeria.

Mais l’intéressé a la réputation d’être un mercenaire des réseaux sociaux en s’attaquant violemment aux hommes politiques de son pays le Nigeria. Il a, du reste, récemment été enlevé et violemment battu par des inconnus qui lui reprochaient d’injurier régulièrement le Gouverneur de l’Etat de Kaduna. 

Dans cette déferlante de désinformation, il y a certaines personnes averties qui suivent régulièrement ces émissions sans donner beaucoup du crédit aux informations diffusées, qu’elles jugent du reste calomnieuses, publiées juste pour diviser les nigériens. C’est le cas de Mansour Moustapha qui dit juste suivre ces chaines tout en sachant qu’elles font de la désinformation.

« Ces gens-là sont entrain de raconter leur vies au détriment des hommes politiques. De un ces ne sont pas des journalistes, ce sont des amateurs qui viennent raconter leurs histoires. Et nous on ne peut pas les comprendre. On ne peut pas dire que c’est vrai ce qu’il raconte, on les écoute seulement. Mais aujourd’hui  si on veut avoir la vraie information, il faut la cherché dans ton pays. Certains  veulent créer des troubles parce qu’il gagne son pain à travers cela. S’il met du trouble lui il est déjà content quand il sait que ceux qui l’ont poussé sont à l’aise. Ils diront qu’ils ont des partisans de l’autre côté. », explique Mansour Moustapha citoyen à Maradi

C’est le même sentiment du côté d’Abdou Dan Neito acteur de la société civile à Maradi pour qui ces fausses informations sont véhiculées pour faire du mal. « Maidalili vit au Nigeria, mais à la minute près, il donne des informations qui sont fausses, en plus, il est en train de monter les gens contre les autres parce que l’information qu’il donne c’est pour faire mal. Ce qu’ils sont en train de faire comme ce n’est pas la seule chaine, ce n’est vraiment pas bon. Nous on n’a même vue que ça a trop duré le fait que le Nigeria sait que ces gens-là vivent chez eux et qu’ils permettent de faire ces choses à un pays frères, c’est comme s’il cautionne cela et ce n’est pas bon. Cela peut amener des troubles, des ennuis, de problèmes entre les deux pays. Vous voyez ce qui se passe entre le Bénin et le Niger, ça peut être la même chose entre le Niger et le Nigeria donc c’est à éviter. »

Ce sentiment est aussi partagé par Yacouba Labo web activiste et membre de l’association des bloggeurs du Niger pour une citoyenneté active (ABCA). « Dans la plus grande majorité, ces chaines virtuelles ne racontent pas la vérité du Niger. Elles mettent en lignes ces informations justes pour déstabiliser la quiétude sociale. Elles contribuent ainsi à la désinformation. Elles font la promotion de la désinformation et certaines même l’apologie du terrorisme. Nous voyons comment elles donnent la position des militaires et souvent le bilan des morts faites par les terroristes. »

Hadi Moussa est un journaliste de la radio Garkuwa à Maradi.  Il dit aussi regarder ces chaines web tv juste pour voir comment ces web tv traitent l’information du Niger. « Je regarde ces chaînes web TV et je constate beaucoup de manquement dans le traitement de l’information sur notre pays. En principe pour des chaînes qui ne résident pas au Niger la logique voudrait qu’il ait au moins des correspondants qui vont leur donner des informations fiables mais ce n’est pas le cas. Surtout pour certaines chaînes YouTube, ils ne font que colmater les informations de gauches à droit pour diffuser. Je les regarde aussi pour voir comment ils traitent l’information du Niger en tant que journaliste. »

C’est justement pour protéger la population de Maradi surtout la jeunesse très scotchée aux réseaux sociaux que Yacouba labo organise des formations sur le partage de l’information. « Quand nous voyons ces genres d’informations, nous créons les conditions en fonction de nos moyens pour vérifier les faits. Avec les formations que nous avons reçues, on peut voir si la photo a été manipulée, ou bien pour voir l’authenticité de cette photo. Si ce sont des vidéos la même chose. Et aussi la sensibilisation des médias sociaux de ne pas directement prendre en compte ce qu’ils voient. Il faut qu’ils vérifient l’authenticité de l’information et en même temps aussi la source, parce que c’est ça qui est le plus important.

Sur le plan législatif, le Niger dispose des mécanismes pour réprimer la désinformation à travers la loi sur la cybercriminalité récemment modifiée par les militaires au pouvoir. Cette réforme a réintroduit des peines sévères d’emprisonnement pour les délits de diffamation, d’injures et de diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine lorsqu’elles sont commises par un moyen de communication électronique.

Le Nigeria a aussi ce type de législation sur la cybercriminalité mais semble ne pas l’appliquer. Ce qui permet à certains acteurs d’exploiter les failles législatives et l’inefficacité de la coopération judiciaire entre les deux pays pour diffuser des contenus illicites. Cela met en lumière les enjeux juridiques de la gouvernance et la régulation des réseaux sociaux.

Mahamadou Mahamane

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet « Révéler la vérité grâce à OSINT » mis en œuvre par le journal « L’Evènement » en collaboration avec le Centre pour l’Innovation du Journalisme et le Développement (CJID) et OSF Africa.

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