Niger : quand la désinformation annihile l’effort de lutte contre le terrorisme

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Des soldats nigériens en patrouille / Ph : ISSOUF SANOGO / AFP

Des flux énormes d’informations trompeuses pullulent en plein régime sur la toile. Des fake news, informations non vérifiées, manipulées ou tronquées sont distillées à longueur de journée sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, X (Twitter), WhatsApp, Instagram, Youtube et bien d’autres. La désinformation n’épargne aucun secteur de la vie sociopolitique et économique et aucun pays n’est à l’abri de ce phénomène qui prend de l’ampleur, avec ses effets néfastes et ses implications sur le vécu quotidien des populations et leur mieux vivre-ensemble.

Au Niger, pays confronté aux multiples défis, notamment sécuritaires, à l’image de ses voisins (le Burkina Faso et le Mali), l’actualité dans ce domaine est marquée par la prolifération des fausses informations, se rapportant sur les opérations militaires de lutte contre le terrorisme. Elles sont diffusées et relayées à travers diverses plateformes numériques par des acteurs, le plus souvent bien connus du public. Ces derniers trouvent, chacun en ce qui le concerne, un intérêt à publier et à propager des fausses informations sur les opérations militaires. Pendant ce temps, c’est la population dans son ensemble qui ressent le plus, l’impact et les effets pervers de toute cette montagne de désinformation distillée sur la toile.

Une panoplie des fausses informations

Elles portent essentiellement sur les opérations militaires engagées par le Niger pour lutter contre le terrorisme, le banditisme armé et les trafics en tout genre. Il s’agit notamment de « Opération Almahoua », active dans la région de Tillabéri (Zone des 3 frontières) ; « Opération Niya » engagée sur la Rive droite du Fleuve Niger ; « Opération Damissa » active dans la région de Dosso ; « Opération Farata Bushiya » engagée dans la région de Maradi.  

La majorité des publications faites sur ces opérations militaires mettent surtout l’accent sur le bilan des accrochages entre les Forces de défense et de sécurité (FDS), engagées dans lesdites opérations et les groupes armés terroristes (GAT). Elles sont très suivies par les internautes et relayées sur diverses plateformes numériques, notamment WhatsApp. L’analyse de ces publications sur une période d’un an fait ressortir que sur une douzaine de publications faites en moyenne par mois sur les opérations militaires, dix d’entre elles donnent des bilans des affrontements qui sont toujours en faveur des groupes armés terroristes.

A titre illustratif, cette publication faite sur Facebook par l’activiste politique Hamid Amadou N’Gadé, en date du 24 juillet 2024, faisant état de la mort de 237 FDS, en majorité des FAN, membres du 43ème BIA de Tillia. Ces derniers, affirme l’auteur de la publication, « sont tombés dans une embuscade à Tankademi, dans la région de Tahoua, alors qu’ils partaient appuyer les éléments de Tassara et des forces spéciales de la Gendarmerie Nationale du Niger (GNN) ». Cette publication a recueilli 236 vues (likes, commentaires et partages y compris), à la date du 13 août 2024.

Le 23 juillet 2024 déjà, le même Hamid N’Gadé publiait qu’« une patrouille de la Gendarmerie nationale est tombée dans une embuscade, hier 22 juillet 2024, vers 12h dans  la zone de Kokourou (département de Tera). Le bilan provisoire fait état de 25 gendarmes tués, plusieurs blessés et des portés disparus ». Un autre activiste politique, en l’occurrence Abdou Pagoui qui relaie toutes les publications de Hamid N’Gadé, lui faisait cas de « 59 soldats tués » dans une publication du 24 juillet 2024.

La même information publiée sous forme de texte et de bandeau pour mettre en valeur le nombre des FDS tués

Sur le même sujet, le site Infos militaires-im (une plateforme numérique animée par l’armée nigérienne) faisait cas de « 15 soldats tombés au champ d’honneur, 16 blessés et 3 portés disparus ». Côté ennemi, « 21 terroristes neutralisés et huit motos détruites ». 

Afin d’atteindre le moral des troupes, entretenir la peur et la psychose en leur sein et dans l’esprit des populations, Abdou Pagoui publiait le 11 août dernier, ce contenu qui a été vu, aimé et commenté par 355 internautes: « Et personne n’en parle, personne n’a rien vu, pourtant la vidéo fait le tour des réseaux. Nos FDS avec chaine au cou, et un Tiani qui nous parle d’une soi-disant montée en puissance de je-ne-sais-quoi. Quelle indifférence collective ! Qu’Allah SWT nous préserve tous. Amine », a-t-il ajouté.

Aussi, dans une récente publication (1er août 2024), Abdou Pagoui publiait, sur Facebook, que « selon les dernières données d’ACLED, entre le 1er août 2023 et le 26 juillet 2024, plus de 487 civils sont tués par des drones au Niger ». Une publication vue par 244 internautes à la date du 12 août 2024.

Rarement ou presque jamais, les victoires remportées par les FDS sur les théâtres d’opérations ne sont pas signalées par ces deux activistes, très enclins à rapporter des informations sur les opérations militaires en cours au Niger. Mieux, dans un décompte des soldats tombés depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023 qui a renversé le président Bazoum Mohamed, au 26 juillet 2024, c’est un total de « 1006 FDS tuées dans 41 incidents sécuritaires » que ces activistes ont compté.

Pourtant, les informations que ces mêmes activistes publiaient régulièrement avant d’aller en exil, n’étaient pas consacrées à la sécurité, notamment à cette « compilation macabre ». Elles valorisaient plutôt les actions menées par l’ancien Président Bazoum. Il a fallu le coup d’Etat de 26 juillet 2023 qui a renversé ce dernier pour que ces personnes, membre de la cellule de communication du régime déchu, démontrent un intérêt subit pour le bilan systématique et régulier des pertes enregistrées par les FDS nigériennes.  

Toutes leurs publications sont systématiquement reprises par le nommé Maidalili dans son émission sur web Tv, appelée « Mudu Ba Mugani ». Une émission réalisée en langue Hausa et qui est suivie par plus de 40 000 personnes en moyenne. Cette reprise systématique suggère l’existence d’une stratégie coordonnée d’amplification des bilans « macabres » qui sont, comme il fallait s’y attendre, toujours en défaveur des FDS. Ces dernières n’ont jamais remporté de victoire aux yeux de ces militants propagandistes.

Des acteurs divers de la désinformation

Dans la désinformation liée au bilan des affrontements entre les FDS (forces de défense et de sécurité) et les mouvements terroristes, on retrouve en premier lieu les trois activistes cités plus haut. Ils sont très connus au Niger et ont un point commun : ce sont tous des anciens membres de la cellule communication du président renversé Bazoum Mohamed. A ces personnes qui s’affichent ouvertement comme opposants aux autorités militaires au pouvoir au Niger, il faut ajouter d’autres acteurs, notamment des influenceurs, acteurs politiques, acteurs des médias, de la société civile ainsi que des lobbyistes, surtout internationaux. Tous s’adonnent également à ces genres de publications dont l’objectif est visiblement d’affecter l’engagement et la détermination des FDS engagées dans la lutte contre le terrorisme.

L’on y retrouve ainsi des acteurs comme cette page x.com/wamaps-r. Dans sa publication sur X en date du 21 juillet 2024, wamaps_news écrit : « le 21/07, plus de 350 terroristes de l’EIGS lourdement armés et équipés de véhicules blindés ont tendu une embuscade à un convoi des FAN du 43ème BIA (renforcé par des éléments de Tassara et des forces spéciales de la GNN à proximité de Tankadémi à la frontière avec le Mali. 237 FDS ont été tués dans l’attaque. Aucun des membres du convoi n’aurait survécu à l’attaque. Les corps n’ont pu être récupérés que plusieurs jours après l’attaque car le détachement de Ouallam a refusé de se rendre sur la zone sans un appui aérien ». Cette publication a fait, à la date du 25 juillet dernier à 8h15mn « 55,5 k vues ».

Le même acteur rajoute à la date du 22 juillet 2024, une autre publication faisant cas d’une nouvelle « attaque contre les FDS à proximité de Kokourou (Tillaberi), causant la mort de 25 gendarmes ». Au 23 juillet dernier à 3h 30mn, la publication a fait « 11,6 k vues ».

Dans la même lancée, wamaps_news publiait à la même date (22 juillet 2024) qu’à la suite de cette « hécatombe », « le CNSP a décrété un jour férié pour le 26/07 afin de fêter le premier anniversaire de la transition. Cette célébration se déroulera dans une atmosphère tendue après une succession d’embuscades terroristes particulièrement meurtrière pour les FDS au cours du mois de juillet (Mbanga, Ikarfane, Tankadémi) avec un bilan de près de 400 soldats tués ».

A comparer tous ces bilans « macabres » publiés par les activistes ci-haut cités aux informations publiées par l’état-major général des Armées, à travers ses bulletins hebdomadaires des Forces Armées Nigériennes (FAN) ainsi que sur « Infos militaires-im » qui est une page Facebook des Forces de défense et de sécurité (FDS), l’écart est trop grand. 

Par exemple, sur le bilan de l’embuscade de Téra en date du 22 juillet 2024, Hamid N’Gadé a annoncé sur Facebook un bilan de 25 soldats tués, wamaps_news fait cas de 59 morts et les sources militaires annonçaient un bilan de 15 soldats tombés.

L’impact et la portée de ces types de publications

En dépit de leur caractère tendancieux, toutes ces informations tronquées, publiées par des acteurs cités plus haut, ne sont pas sans conséquences sur les opérations militaires en cours au Niger en plus de soulever des interrogations au sein de l’opinion nationale, sur la capacité des Forces de défense et de sécurité nigériennes à mener une lutte âpre contre les groupes armés terroristes qui écument certaines parties du territoire nigérien.

D’abord sur le moral des troupes. Selon le Sergent-chef Ibrahim. A des FAN, « lire des telles informations avec des bilans très élevés, régulièrement publiés sur les réseaux sociaux, affecte le mental des soldats, bien que nous sommes convaincus qu’ils ne reflètent pas la réalité sur les théâtres d’opérations ». Ceux qui publient ces informations, poursuit-il, « qui sont d’ailleurs fausses à plus de 90%, surtout les bilans, sont soit les complices de nos ennemis, soit ils sont payés pour faire en sorte d’atteindre notre moral ». En tout cas, « ils le font pour un intérêt à eux », estime-t-il.

Cette propension de publier des bilans macabres des FDS tombés au front par certains activistes sur les réseaux sociaux vise aussi à déstabiliser l’Etat, particulièrement les autorités en place. 

Pour Moustapha. A, Gendarme de son état, « c’est en quelque sorte un matraquage médiatique qui est spécifiquement orienté vers les soldats au front et ceux en instance d’être déployés afin qu’ils désobéissent à leur hiérarchie, qu’ils se soulèvent par des mutineries et qu’ils refusent d’aller au front au motif que les terroristes les tuent comme des mouches ». Pour lui, « ce sont des manœuvres commanditées par certains de nos compatriotes pour faire mal à l’Etat surtout qu’ils ne sont plus au pouvoir et décourager les soldats qui sont au front ». 

D’ailleurs, s’était-il interrogé, « comment quelqu’un qui n’est pas sur les théâtres d’opérations, qui n’est pas aussi dans le commandement, qui ne connait rien de notre travail, peut-il publier des informations vraies sur les opérations que nous menons sur le terrain ? C’est vraiment du n’importe quoi », a-t-il fustigé avant de suggérer aux gens de « faire très attention à ces genres d’informations qui sont publiées sur les réseaux sociaux ».

Pour bien d’autres personnes, ces fausses informations sur les opérations militaires visent à « décourager les soldats dans leur engagement et leur détermination à combattre le terrorisme », estime Hachimou Ada, enseignant de son état. Mieux, ajoute-il, « les spécialistes de ces fake news pensent qu’à travers des bilans très élevés des morts dans les rangs des FDS qu’ils publient à chaque fois qu’une attaque est signalée, leur objectif est certainement de provoquer la peur au sein des militaires pour qu’il ait des désertions massives. 

C’est aussi une façon pour eux de provoquer la réduction des effectifs et décourager les parents à autoriser leurs enfants à s’engager dans les différents corps des Forces de défense et de sécurité, surtout qu’un recrutement d’environ 10 000 jeunes est programmé cette année ».  

Au vu de tout ce qui précède, il apparait clairement que les fausses informations sur les opérations militaires, publiées régulièrement sur les réseaux sociaux par des acteurs qui ont d’autres intérêts à défendre sont de nature à impacter négativement l’engagement des soldats qui sont sur le théâtre d’opérations. Même si certains font preuve de lucidité à chaque fois qu’ils lisant ces genres d’informations, d’autres les considèrent comme étant vraies et y accordent de l’importance. 

La désinformation sur le bilan des affrontements trouve son essor dans la faible réactivité de la communication des FDS. Ce qui pourrait s’expliquer par des protocoles internes de vérification et de prudence, contrairement aux activistes qui diffusent des bilans douteux, parfois aussitôt après les attaques ou même au cours de celles-ci.

Du reste, ces activistes ont annoncé à mots couverts, l’imminence de certaines attaques dont les FDS ont été victimes, donnant l’impression qu’ils disposent de la primeur de certaines sources d’information. Sur ce point, on retrouve surtout @wamaps_news qui s’empresse à donner des bilans « exagérés » d’attaques terroristes. Ses publications sont spontanément reprises par les activistes, N’Gadé, Pagoui et Maidalili sur leurs pages Facebook et dans l’émission web Tv « Muduba Mugani » de Maidalili. Des publications annonçant des attaques imminentes des GAT sont aussi faites, surtout via WhatsApp et parfois derrière des faux profils sur Facebook. 

L’analyse minutieuse de toutes ces publications fait ressortir l’existence d’uns schéma de partage et de reprise des mêmes informations sur les attaques dont sont victimes les FDS. @wamaps_news qui prétend donner des informations fiables sur les incidents sécuritaires grâce notamment à un réseau de correspondants s’appuie, en ce qui concerne le Niger, sur les mêmes artisans de la désinformation à savoir N’Gadé et Pagoui. Et comme un retour d’ascenseur, ces web-activistes amplifient à leur tour, les informations publiées par @wamaps_news.

Figure 1@wamaps_news fait un large écho aux informations non authentifiées publiées par Abdou Pagoui qui est également sa principale source sur le Niger

L’existence d’un système coordonné de désinformation sur les attaques de mouvements terroristes doit amener les services de communication des FDS à affiner leur stratégie de diffusion de l’information en vue de contrer cette désinformation rampante. Cela permettra de prendre de l’avance sur les publications qui sont servies sur les réseaux sociaux et qui, dans la plupart des cas, sont tronquées ou manipulées.

Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet « Révéler la vérité grâce à OSINT » mis en œuvre par le journal « L’Evènement » en collaboration avec le Centre pour l’Innovation du Journalisme et le Développement (CJID) et OSF Afica.