Justice/Marchés : Bras de fer Niger/Nigeria à venir ?
Le Nigéria menace de saisir la cour de justice de la CEDEAO dans une affaire de résiliation de contrat qui oppose la République du Niger à la société nigériane Architeam Group Niaport SA relative à la construction de l’aéroport de Niamey.
« Le Nigeria n’aura d’autre option que de faire recours à la Cour de Justice de la CEDEAO, aux fins des dommages y afférant ». C’est la menace faite par les autorités judicaires nigérianes à travers une lettre (Voir fac similé) en date du 11 juillet dernier, adressée au ministère des affaires étrangères du Niger avec ampliation au ministre de la justice et celui des transports. A travers ce courrier, le Nigeria, donne un délai de deux semaines (NDLR : qui sont écoulées) au Niger pour qu’il se ressaisisse dans le dossier relatif à la résiliation unilatérale du contrat de construction de l’aéroport Diori Hamani attribué au départ à ARCHITEAM GROUP NIAPORT SA, une société nigériane. Au moment où les médias nigérians ne sont plus tendres avec le régime de Niamey, cette menace, ajoutée à la résiliation unilatérale d’un autre contrat liant une autre société nigériane (N-FIZAH INVESTIMENTS LIMITED) et la société nigérienne d’urbanisme et de construction immobilière (SONUCI), suivis d’autres dossiers similaires, risquerait de porter un coup aux légendaires relations entre le Niger et le Nigéria. Retour sur un des dossiers sulfureux de la renaissance.
Tout est parti par la volonté du président Issoufou de doter Niamey d’un aéroport digne de ce nom. Reconnaissant le rôle joué par le Nigeria pour son ascension au pouvoir, le président Issoufou jette son dévolu sur les sociétés nigérianes dont certaines ont été pistonnées par des hautes personnalités nigérianes à l’image de certains généraux anciens chefs d’Etat. C’est ainsi que plusieurs sociétés du pays du général Buhari se sont vus attribuer des contrats en violation des règles en la matière. Nos sources rapportent que des porteurs des mallettes ont fait le tour chez certaines personnalités actives des services du partenariat public et privé (PPP) mais aussi dans certains cabinets des grosses pointures de la renaissance. C’est ainsi que fut attribué en mars 2015, le marché de construction de l’aéroport Diori Hamani de Niamey à la société nigériane ARCHITEAM GROUP NIAPORT SA que chapote une personnalité nigériane bien connue du cercle du pouvoir de Niamey, du nom de Elhadji Muttakha Tijani.
Plusieurs mois après cette attribution, le constat dressé par un rapport doute de la capacité de la société nigériane à exécuter son contrat. Mieux, certains doutent même de son expérience en la matière. Le gouvernement qui tient coûte que coûte à la réhabilitation de l’aéroport de Niamey décide unilatéralement de rompre le contrat pour attribuer le marché à la société turque SUMMA. Là également, l’on parle des porteurs des mallettes. La société nigériane soutient qu’elle aurait investie plusieurs milliards, d’autant plus qu’elle est poursuivie par certains créanciers et que même les études qu’elle aurait faites sur le site de construction de l’aéroport de Niamey auraient été utilisées par la société SUMMA. Elle réclame alors à l’Etat du Niger plusieurs milliards. La société ARCHITEAM GROUP NIAPORT SA saisie les autorités judicaires de son pays. Des négociations ont été entamées depuis plusieurs mois sans que l’Etat du Niger et la société d’Elhadji Muttakha, soutenue par l’Etat nigérian, ne parviennent à un accord. C’est après plusieurs reports de négociations que le ministre de la justice et procureur général de la République fédérale du Nigeria par intérim décide de porter cette affaire devant la Cour de Justice de la CEDEAO.
Le Nigéria évoque les « illusions » que lui vend le Niger
Dans cette lettre du ministre de la justice et procureur général de la République fédérale du Nigeria par intérim, adressée à son excellence le ministre des affaires étrangères de la République du Niger, dont l’objet est la « résiliation du Contrat attribué à Architeam Group par le Gouvernement de la République du Niger », le Nigeria s’est plaint d’un certain nombre de choses. Tout d’abord, il a fait mention de la réunion des 5 et 6 mai 2019 tenue à Niamey. Au cours de cette réunion, « la délégation nigérienne s’est plaint que les documents et revendications mentionnés par le Groupe Architeam ne lui ont pas été remis », indique la lettre. « Conséquemment, la réunion a été ajournée pour un délai de deux mois pour permettre au Groupe Architeam de soumettre les documents réclamés à qui de droit d’une part, mais également pour donner à votre Gouvernement la possibilité de les étudier d’autre part. Dans cette optique, il a été convenu de reprogrammer la réunion après une durée de deux mois. Depuis lors, les documents ont été transmis par voie diplomatique à votre ministère, comme demandé par la délégation du Niger », précise la correspondance. C’est après « expiration des deux mois que le Gouvernement du Nigeria a transmis une correspondance aux autorités du Niger dans laquelle les dates de 21 et 22 Mai 2019 ont été proposées pour la tenue de la réunion en question. Mais à ce jour, aucune suite n’est donnée », précise le document. « Toute analyse faite, il nous apparait clairement que le règlement à l’amiable du différend tel qu’envisagé ne serait qu’une illusion », soulignent les autorités nigérianes qui suggèrent « un recours à l’arbitrage, si les autorités du Niger ne seraient pas disposées à convoquer ladite réunion ». Dans cette perspective, « le Nigéria propose au Niger de nommer des médiateurs dès réception de la présente, et ce, dans un délai de deux semaines. Le Nigéria aussi va nommer les siens. Advenant qu’aucune désignation de médiateur ne nous parvienne dans le délai imparti, le Nigéria n’aura d’autre option que d’avoir recours à la Cour de Justice de la CEDEAO aux fins des dommages y afférant », rapporte le ministère nigérian de la justice.
La presse nigériane s’en mêle
Avant les élections pour le second mandat du président Buhari, la presse nigériane a tiré à boulets rouges sur le régime de la renaissance qu’il accuse d’aller à l’encontre des intérêts du Nigéria. Au mois de janvier 2019, le Niger a fait l’objet de gros titres. « Comment le Niger sabote les intérêts du Nigéria ? », titrait le 11 janvier 2019, le journal « Opinion ». Pour sa part, « The Nation » du 11 janvier 2019 rapporte que « le Niger se mêle des affaires du Nigéria ». D’autres journaux à l’image de « Leadership » du 12 janvier 2019 et du « BleuePrint » en date du 10 janvier 2019 y vont dans le même sens. C’est cette situation inédite dans les relations entre les deux pays frères qui a fait secouer la renaissance. C’est pour y remédier que les gouverneurs des régions de Maradi et de Zinder se sont précipités à grand coup de publicité médiatique pour arborer les couleurs du candidat Buhari, en violation de la loi. Voilà pour l’histoire.
Cette affaire tombe mal pour le président Issoufou, déjà embourbé dans d’autres dossiers similaires sur le plan international comme celui d’Africard, africarail de Michel Bosio et bien d’autres où l’Etat du Niger, par la faute de quelques personnes cupides, est entrain de se faire déplumer. C’est pourquoi, la société civile, pour l’histoire, doit répertorier tous ce type de dossiers afin que les personnes incriminées rendent gorge.
Par Moussa Aksar
L’Évènement N°1083 du 31 Juillet 2019