Niger : Issoufou sur « France 24 », des réponses évasives aux questions pertinentes

0
9377
Mahamadou Issoufou, président de la République du Niger

Le 12 octobre 2020, le chef de l’État nigérien, Mahamadou Issoufou, a accordé un entretien à la télévision « France 24 ». Pendant plus de 11 minutes 40 secondes, le président Issoufou est resté très évasif sur des sujets pertinents tels que l’enquête sur l’attaque meurtrière de Kouré et le bilan de sa gouvernance à la tête du Niger.

Sur « France 24 », Mahamadou Issoufou n’a pas su convaincre les téléspectateurs sur certains sujets importants. A la question, « après le choc [de l’attaque de kouré] où en est l’enquête et puis quelle réponse on peut donner aujourd’hui aux familles qui sont endeuillées ? », le président Issoufou répond : « Je voudrais profiter de question pour renouveler mes condoléances aux familles des victimes, aux familles françaises et nigériennes de cette attaque de Kouré. Le Niger s’est engagé à tout mettre en œuvre pour retrouver les assassins afin de les traduire devant la justice. Le Niger en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité a pris l’initiative de se mettre en rapport avec les autres membres du Conseil de sécurité afin de voter une résolution pour une protection plus forte des humanitaires ». « Concrètement ça veut dire quoi ? » relance le journaliste, et il répond : « Il y aura plus de protection mais il y aura aussi plus de sanction contre ceux qui assassinent les humanitaires ».

Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, le chef de l’État nigérien n’a pas répondu à la préoccupation du journaliste, et donc du public. Il a esquivé la question. Dans sa réponse, il n’y a qu’une seule phrase qui s’apparente à un début de réponse à la préoccupation du journaliste : « Le Niger s’est engagé à tout mettre en œuvre pour retrouver les assassins afin de les traduire devant la justice. » Oui, mais Monsieur le président, la question est de savoir « où en est-on avec l’enquête et quelle réponse on peut donner aujourd’hui aux familles qui sont endeuillées ? ».

La communication gouvernementale nous dira certainement que le chef de l’État a été pris au dépourvu sur cette question d’une extrême sensibilité ; ou que les enquêtes sont toujours en cours et que, pour des questions de sécurité, le chef de l’État ne pourrait pas se prononcer pour le moment sur le sujet (un argument diplomatique) ; ou que sais-je encore ? Mais franchement, l’entretien d’un chef d’État, fut-il du Niger, avec un média international ne demande-t-il pas un minimum de préparation ?

À supposer que l’entretien n’a pas été préparé et que Cyril Payen, le journaliste de « France 24 », a débarqué à la résidence présidentielle pour solliciter un entretien, un peu comme on fait du micro trottoir. Ça aurait coûté quoi au chef de l’État de jouer la carte de la diplomatie ? Avec une réponse aussi évasive et laconique à cette question préoccupante, quel est le message que Mahamadou Issoufou veut faire passer au monde à travers « France 24 » ? Que le Niger est membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et qu’à ce titre, il a aujourd’hui le privilège de discuter des questions de sécurité avec les puissances nucléaires du monde ? Si ce n’est que ça, on le sait déjà.

Le président Issoufou n’a pas les mots pour présenter son bilan ou il n’a pas de bilan ?

En abordant le volet politique au cours de l’entretien, le journaliste Cyril Payen questionne le président Issoufou en ces termes : « Il y a une échéance électorale proche. Il n’y a pas au Niger, on le sait maintenant, la tentation du troisième mandat, pas ici en tout cas, quel est votre bilan ? ». Il répond : « Depuis 10 ans, j’ai (il cherche ses mots) essayé d’assurer la sécurité des nigériens, c’est ce que j’ai promis. J’ai essayé de renforcer les institutions démocratiques, c’est également un des axes du programme Renaissance, la preuve, vous venez de le dire, je ne cherche pas à un troisième mandat parce que j’estime que ça fait partie des promesses que j’aie faites au peuple nigérien. »

Vous l’auriez compris, en 10 ans, le président Issoufou n’a concrètement rien pu faire, mais il a essayé de faire ce qu’il a promis. Mais est-ce réellement le cas ? Mahamadou Issoufou a-t-il vraiment essayé d’assurer la sécurité des nigériens ? A-t-il réellement essayé de renforcer les institutions démocratiques du Niger ? La communication gouvernementale nous rétorquera peut-être « Oui », mais pour la grande majorité des nigériens lambda, la réponse serait sans équivoque « Non ».

Toutes les organisations internationales intervenant au Niger, s’accordent qu’en 10 ans, la situation sécuritaire du Niger s’est dégradée. Presque tout le pays est en état d’urgence. Les Forces de défense et de sécurité qui sont tous les jours sur le front de la lutte anti-terroriste paient de leur vie le prix fort. Le scandale de détournement de plusieurs dizaine de milliards de francs cfa au ministère de Défense en dit long sur comment Mahamadou Issoufou et ses sbires ont essayé d’assurer la sécurité des nigériens ces 10 dernières années.

Des institutions fortes, le Niger en a certainement quelques unes. Mais quid de l’indépendance de la justice sous le règne Issoufou ? En 10 ans, l’impunité, l’injustice, le bâillonnement des libertés, et le musèlement des journalistes, acteurs de la société civile et défenseurs des Droits humains semblent avoir triomphé du discours du chef de l’État.

Les oubliés du bilan du président Issoufou

L’accès à l’éducation, l’accès aux soins primaires, l’accès à l’eau et à l’électricité, l’accès aux infrastructures socio-communautaires de base, sécurité alimentaire, protection des enfants, développement du capital humains, désenclavement des zones difficiles d’accès, progrès économique en terme de production agricole et industrielle, retombées socioéconomiques de l’exploitation des ressources minières du Niger en 10 ans, etc. Ce sont là quelques axes sur lesquels le bilan des 10 années de gouvernance du président Issoufou était attendu. Mais hélas !

De l’entretien du président Issoufou sur « France 24 », on n’aura retenu qu’une seule chose : « Il ne va pas briguer un troisième mandat », même si l’envie ne lui manque pas. Respecter sa parole, celle de ne pas violer le nombre de mandats présidentiels selon la constitution, vaut-il un bilan digne de 10 ans de gouvernance ? C’est là toute la question.